Charles François VERGNAUD-ROMAGNESI (1785-1870)

Portrait de Charles François Vergnaud-Romagnesi par Narcisse Romagnési (1825) . Collection particulière
Portrait de Charles François Vergnaud-Romagnesi par Narcisse Romagnési (1825) . Collection particulière

Un autodidacte touche-à-tout…

Charles François Vergnaud-Romagnési est né à Orléans le 2 mai 1785 dans la paroisse Sainte-Catherine d'Orléans et décédé dans cette même ville, à son domicile, au 32 rue Jeanne d’Arc, le 12 décembre 1870. Fils de Benoît Charles Vergnaud, négociant, et de Marie Sophie Geneviève Faissolles, il épousa Françoise Angélique Sophie Romagnési. Son beau-frère Narcisse Romagnési, sculpteur, peintre et lithographe lui apportera sa contribution pour les illustrations de plusieurs de ses ouvrages. C’est probablement par ce biais qu’il se lie d’amitié avec Charles Pensée qui réalisera quelques-unes des planches de ses articles.

Salpêtrier de profession, il entre le 4 mars 1825, à l’âge de 40 ans, à la Société des Sciences Belles-Lettres et Arts d’Orléans.

En dépit du caractère tardif du démarrage de sa carrière archéologique, il va écrire et publier en 45 ans (1823-1869) plus de 100 articles et ouvrages.

Dans le dictionnaire bibliographique de Jean Marie Quérard de 1839, il est présenté comme "historien et archéologue, membre de la Société royale des sciences, belles-lettres et arts d'Orléans, de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, de la Société linnéenne de Paris, de la Société nantaise d'horticulture, de la Société d'émulation des Vosges, de la Société académique de la Loire-inférieure, de l'Académie de l'industrie agricole, manufacturière et commerciale, de la Société royale des antiquaires de France, de celle de Normandie, de la Morinie, l'un des correspondants du ministre du commerce et des travaux publics pour la recherche et la conservation des monuments publics dans le département du Loiret ".

Parmi les autres rares mentions qui sont faites de ce personnage, Léon Dumuys, au cours d’un article rédigé en 1907 sur le fameux calendrier scandinave en caractère runique acquis par Vergnaud puis entré dans les collections du musée, le décrit comme : "chercheur infatigable, archéologue ardent, parfois hardi ; chimiste, agriculteur, inventeur ingénieux et fécond". Il précise plus loin : "il publia au cours de sa longue et laborieuse carrière plusieurs ouvrages importants et, une quantité considérable de notices variées dont la collection représente plus de quatre gros volumes remplis de renseignements, de mémoires, de notes et de croquis intéressants. 

Montaigne semblait prévoir les aberrations de certains archéologues, lorsqu'il écrivait il y a deux cent cinquante ans : « Notre esprit est un outil vagabond, dangereux et téméraire : il est mal aisé d'y joindre l'ordre et la mesure. En l'estude comme au reste, il luy faut compter et régler ses marches. C'est un outrageux glaive, à son possesseur mesme, que l'esprit à qui ne sçait s'en armer ordonnement et discrètement. » Vergnaud, membre de la Société des sciences d'Orléans, n'a guère songé à mettre à profit ces sages paroles du gentilhomme périgourdin. Cet outrageux glaive, il n'a pas craint de s'en escrimer à deux mains. Aussi il lui en est arrivé malheur, comme le lecteur va pouvoir en juger.

Lalanne (L.) - Giadisophe, ou commentaires de Mr Vergnaud Romagnesi sur quelques inscriptions de Saint-Benoît-sur-Loire, etc, par Mr du Faur de Pibrac [compte rendu], Bibliothèque de l’école des Chartes, volume 7, n°1, 1846, p.79-81.

….qui énerve les savants

Toutefois, cet hyperactif, curieux de tout et autodidacte, est loin de faire consensus parmi ses contemporains.

Ainsi, Boucher de Molandon dans sa notice nécrologique de 1886 sur le comte Du Faur de Pibrac, rapporte une polémique née vers 1843-1844 entre les deux hommes sur des problèmes d’épigraphie latine à Saint-Benoit-sur-Loire.

"En quelques pages étincelantes de bon sens, de science solide et de verve caustique, [Du Faur de Pibrac] démontra à l’évidence que M. Vergnaud avait foulé aux pieds la théologie, l’histoire, la paléographie et la grammaire. Nulle réplique n’était possible, et notre spirituel épigraphiste eut à la fois, pour lui, les savants et les rieurs." (Boucher de Molandon, notice nécrologique du Comte Du Faur de Pibrac, 1886)

Plus tard :

"Une nouvelle joute, à l’encontre du même adversaire, vint bientôt se greffer sur la première. La cloche de Beaune-la-Rolande, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Montargis, porte à son bord inférieur une légende en relief. Un inconnu entreprit de la transcrire ; puis, cette besogne tant bien que mal accomplie, il transmit son texte à M. Vergnaud-Romagnési, qui, inspiré cette fois encore comme il l'avait été pour son Giadisophe, eut la malheureuse pensée de s'en constituer éditeur responsable, tout en déclarant qu'il n'avait pu ni le déchiffrer, ni le comprendre.

M. Vergnaud, au lieu, ce qui eût été sage, d'en vérifier préalablement l'exactitude sur l'original, en adressa des copies, soi-disant exactes, à tous les érudits de l'Europe savante : à la Société des antiquaires de France, et à celle d'Édimbourg, à l'Académie des Inscriptions et belles-lettres, à la Société des antiquaires de Rome, à l'Institut de Saint-Pétersbourg, etc.

Ces corps éminents perdirent, oserions-nous dire, leur latin à chercher une lecture acceptable et un sens possible à ce bizarre assemblage de caractères fantastiques et de mots absolument inintelligibles. Mais quelques-uns, comme le cardinal Mezzofante et M. Éloy Johanneau des Antiquaires de France, ne se refusèrent pas quelques sarcasmes, à l'adresse des paléographes orléanais dupes, peut-être, d'un lecteur ignorant, ou d'une irrespectueuse mystification.

Piqué au vif de ces ironies, dont il avait sa part, M. de Pibrac, à peine remis de sa lutte avec M. Vergnaud sur les inscriptions de Saint-Benoît, vint de nouveau lui demander compte du bruit qu'il suscitait, comme auteur ou complice, à propos de notre cloche orléanaise.

Plus avisé que son adversaire, il se rendit à Beaune, tout d'abord, monta sans peine au clocher, s'approcha sans difficulté du bronze, objet de tant de débats, déchiffra l'inscription à première vue et en prit une estampage qu'il publia sans retard.

L'inscription portait simplement, en caractères gothiques la date, 1588 ; le nom du fondeur, P. Vandard ; et celui du patron Saint-Sébastien.

Toute difficulté disparut comme par enchantement devant cette révélation aussi complète qu'inattendue." (Boucher de Molandon, notice nécrologique du Comte Du Faur de Pibrac, 1886).

Ce sont des faits similaires qui vont se dérouler avec Jean-Baptiste Jollois à propos de la localisation du fort des Tourelles d’après des vestiges retrouvés en 1831. La polémique démarre avec un article de Vergnaud soumis à la Société des Antiquaires de France, transmis par cette dernière à Jollois pour qu’il en dresse un rapport verbal, comme c’est l’usage à l’époque. Dans un premier temps Jollois semble valider la proposition de Vergnaud.

"Mais comment douter que les ruines du fort des Tourelles n'eussent pas été retrouvées, lorsqu'on voit l'auteur de la notice le dire avec la plus grande assurance, annoncer à ses concitoyens l'importance de sa découverte, appeler sur ces restes précieux l'intérêt et l'attention des étrangers, correspondre avec l'autorité administrative d'Orléans et l'Inspecteur-général des monuments antiques de la France, pour obtenir le déblaiement des vestiges du fort des Tourelles, et provoquer enfin les autorités locales pour ériger un monument à la mémoire de l'héroïne d'Orléans sur l'emplacement des ruines retrouvées." (Jean-Baptiste Jollois, rapport pour la Société des Antiquaires de France).

Toutefois, après s’être déplacé sur les lieux et avoir constaté qu’il ne pouvait s’agir du fort des Tourelles, repris aux anglais par Jeanne d’Arc en 1429, Jollois rédige en 1833 un article cinglant démontant pas à pas l’argumentaire de Vergnaud, soulignant l’incohérence de ses preuves et ses problèmes de méthode.

"Loin de chercher dans un plan exact la confirmation de son opinion, il a fait au contraire un plan pour établir cette opinion même. En effet, il semble avoir allongé l'ancien pont d'Orléans pour le faire arriver tout juste aux ruines qu'il voulait absolument être celles du fort des Tourelles." (Jean-Baptiste Jollois, rapport pour la Société des Antiquaires de France).

Il conclut l’article en invitant l’auteur à retirer son article.

"Nous terminerons ici les observations que nous avons dû faire sur la notice historique du fort des Tourelles. Nous croyons avoir jeté quelque lumière sur des détails que l'auteur a rendus fort obscurs , et relevé des erreurs qu'il était important de faire connaître dans l'intérêt de l'histoire et de la vérité. Si nous avions erré nous-même et qu'on nous le démontrât, nous nous empresserions de renoncer aux convictions qui nous ont fait prendre la plume." (Jean-Baptiste Jollois, rapport pour la Société des Antiquaires de France).

Vergnaud ne va pas en rester là et, comme à son habitude, s’entête dans sa logique en publiant en 1834 une réponse directe à la lettre de Jollois.

Au final, on sait que Vergnaud a confondu les fortifications avancées datées du règne de Henri III (deuxième moitié du XVIe siècle) et le fort des Tourelles tel qu’il devait être lors du siège de 1428, correctement situé par Jollois.

Il en ira de même avec Léon de Buzonnière à propos de la crypte de Saint-Avit, autre exemple sur lequel nous ne nous étendrons pas.

Les mots les plus durs viennent de Jacques Soyer, qui reprenant le dossier de la supercherie de l’inscription gravée sur un des piliers de l’église carolingienne de Germigny-des-Prés dont Vergnaud avait été la victime en 1847 écrit :

Vergnaud-Romagnési, dont j'ai lu presque tous les travaux, était un compilateur infatigable. Érudit médiocre, dépourvu d'esprit critique, écrivain nul, collectionneur assez habile, mais peu scrupuleux, très intrigant, avide de réclame, il aimait à annoncer bruyamment les trouvailles sensationnelles dont il était l'auteur, et cherchait continuellement à dérouter ses confrères en histoire et en archéologie.

Jacques Soyer

En dépit de toutes les critiques qui lui sont faites, Charles François Vergnaud-Romagnési reste un auteur incontournable, témoin autodidacte des découvertes archéologiques de son temps qu’il relate objectivement avant de les contextualiser avec ses convictions et les connaissances de son siècle. En ce sens, il a largement contribué à écrire l’histoire orléanaise.

Une partie de ses archives sont déposées à la Médiathèque d’Orléans et aux Archives départementales du Loiret.

Principales publications

  • Notice historique sur l'ancien grand cimetière et sur les cimetières actuels de la ville d'Orléans, Orléans et Paris, 1824, 96 p.
  •  Notice historique sur la découverte du cimetière primitif de la ville d'Orléans, Séance du 3 juin 1831,, Annales de la Société Royale des Sciences Belles-Lettres et Arts d’Orléans, T.XI, 1830 p.267-290 + 1 plan. Forme la pièce 16, tome I, Archéologie du département du Loiret et de quelques localités voisines.
  •  Notice sur la porte Saint-Jean d'Orléans, Séance du 2 mars [1833], Annales de la Société Royale des Sciences Belles-Lettres et Arts d’Orléans, T.XIII, 1833, p.5-20 + 1 planche. Forme la pièce 10, tome I, Archéologie du département du Loiret et de quelques localités voisines.
  •  Mémoire sur des sculptures antiques trouvées à Orléans, lors des fouilles pratiquées sur le quai de la Tour-Neuve, près la rue des Bouchers, en août, septembre et octobre 1833, Séance du 22 novembre 1833, Annales de la Société Royale des Sciences Belles-Lettres et Arts d’Orléans, T.XIII, 1833, p.106-124 + 1 planche. Forme la pièce 11, tome I, Archéologie du département du Loiret et de quelques localités voisines.
  •  Notice historique et description de l'église de Saint-Pierre-en-Pont d'Orléans, Séance du 7 mars 1834, Annales de la Société Royale des Sciences Belles-Lettres et Arts d’Orléans, T.XIII, 1835, p.213-230 + 1 planche.
  •  Mémoire sur l'ancienne porte de Saint-Laurent ou le jardin de ville d’Orléans, destiné aux constructions de l’entrepôt, Séance du 20 février 1835, Annales de la Société Royale des Sciences Belles-Lettres et Arts d’Orléans, T.XIV, 1836, p.5-20 + 1 planche. Forme la pièce 15, tome I, Archéologie du département du Loiret et de quelques localités voisines.
  •  Mémoire sur divers objets antiques et sur des constructions gallo-romaines trouvées en 1845, dans le tracé du chemin de fer d’Orléans à Vierzon, près de la porte de Bourgogne à Orléans, 1846. Forme la pièce 18, tome II, Archéologie du département du Loiret et de quelques localités voisines.
  •  Mémoire sur les antiquités découvertes à Orléans en 1846, dans les fondations de l'ancien hôtel-Dieu et de la porte Parisis, Paris, Revue orléanaise, 1847, p.363-366. Forme la pièce 21, tome II, Archéologie du département du Loiret et de quelques localités voisines.
  •  Mémoire sur une crypte découverte en décembre 1853 dans le jardin du séminaire d'Orléans, rue de l’Evêché, Séance du 21 janvier 1853, Mémoire de la société d’Agriculture, Science, Belles-Lettres et arts d’Orléans, Orléans, T.1, 1853, p.10-19 + 4 planches. Forme la pièce 15, tome III, Archéologie du département du Loiret et de quelques localités voisines.

Une liste exhaustive des publications de Vergnaud-Romagnési est disponible en téléchargement à la fin de cet article.

Pour aller plus loin

  • Sur la polémique des inscriptions de Germigny-des-Prés :

Soyer (J.) - Les inscriptions gravées sur les piliers de l’église carolingienne de Germigny des Prés sont elles authentiques ?, Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1923, p.197-216.

Lalanne (L.) - Giadisophe, ou commentaires de Mr Vergnaud Romagnesi sur quelques inscriptions de Saint-Benoît-sur-Loire, etc, par Mr du Faur de Pibrac [compte rendu], Bibliothèque de l’école des Chartes, volume 7, n°1, 1846, p.79-81.

  • Sur la polémique du fort des tourelles :

Colas de la Noue (J.) - Rapport au nom de la section des Belles-Lettres, sur l’indicateur orléanais de M. Vergnaud-Romagnési, Annales de la Société Royale des Sciences Belles-Lettres et Arts d’Orléans, T.XI, 1830 p.197-251.

Jollois (J.-B.) - Lettre à Messieurs les membres de la Société Royale des antiquaires de France, sur l’emplacement du fort des tourelles de l’ancien pont d’Orléans, Orléans, 1834, 21 pages + 6 planches

  • Sur la polémique de la crypte Saint Avit :

Buzonnière (L. de) - Note sur la destination de deux compartimens de la crypte de Saint-Avit, séance du 18 février 1853, Mémoire de la société d’Agriculture, Science, Belles-Lettres et arts d’Orléans, Orléans, T.1, 1853, p.20-24.

...et un inventeur

Vergnaud-Romagnési est l’inventeur de l’estampage monétaire sur papier. Ce procédé novateur va lui permettre en 1832 d’exécuter rapidement, de façon aisée et peu onéreuse, les illustrations d’une série de monnaies romaines provenant de la collection de M. de Villevêque. Cette technique sera utilisée à plusieurs reprises avant d’être détrônée par un retour à la gravure à la fin du XIXe siècle.

Extrait de Fac-similé de médailles des familles romaines consulaires et impériales de la collection de M. M. de Villevêque fils ; obtenu par un procédé découvert et appliqué pour la première fois à une suite de médailles (Ch.F. Vergnaud Romagnesi, 1832)
Extrait de Fac-similé de médailles des familles romaines consulaires et impériales de la collection de M. M. de Villevêque fils ; obtenu par un procédé découvert et appliqué pour la première fois à une suite de médailles (Ch.F. Vergnaud Romagnesi, 1832)
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