Fouille archéologique au 80 quai du Châtelet

Fouille archéologique au 80 quai du Châtelet à Orléans (crédits : Pôle d'archéologie, 2014)
Fouille archéologique au 80 quai du Châtelet à Orléans (crédits : Pôle d'archéologie, 2014)

Fouille archéologique au 80 quai du Châtelet

À l’occasion du réaménagement de l’immeuble du 80 quai du Châtelet en hôtel, une intervention archéologique a été menée en juillet-août 2014. Le site est localisé en bord de Loire, en limite du centre historique de la ville antique et médiévale. Les résultats de la fouille nous éclairent sur l’histoire de ce lieu au passé très long, depuis les aménagements successifs des berges de la Loire pendant l’Antiquité, à l’installation de la résidence royale puis ducale d’Orléans.

Coupe stratigraphique montrant la limite de la berge romaine à droite, l'emplacement des piquets en plus foncé et les couches de cailloutis constituant la voirie (crédits : Pôle d'archéologie, 2014).
Coupe stratigraphique montrant la limite de la berge romaine à droite, l'emplacement des piquets en plus foncé et les couches de cailloutis constituant la voirie (crédits : Pôle d'archéologie, 2014).

Les berges antiques en bord de Loire

Des rives de Loire fluctuantes

Avant l’Antiquité, la parcelle se situe dans le lit de la Loire. Le paysage est alors constitué de grèves plus ou moins boisées, entre lesquelles le cours de la Loire fluctue en fonction des saisons et des années. Les rives du fleuve sont mobiles, évoluant en fonction du débit de l’eau et de la hauteur variable du fleuve.

Des grands travaux collectifs...

Il faut attendre le Ier siècle après Jésus-Christ pour que de grands travaux collectifs permettent de stabiliser la berge. De grandes quantités de terres sont apportées des alentours afin d’exhausser le niveau de circulation et de permettre l’installation de bâtiments et de rues en bord du fleuve. Elles sont maintenues à l’aide de pieux en bois plantés verticalement et de planches en bois intercalées entre ceux-ci. Le sol est recouvert d’une couche de petits galets de Loire damés. Ceci permet de faciliter la circulation au bord de la berge. Au milieu du IIe siècle, probablement suite à de fortes crues, la berge est avancée de plusieurs mètres pour protéger les installations existantes et permettre la construction d’une grande voie est-ouest qui longe le fleuve. La voie est constituée d’une couche de gros blocs de pierre calcaire, sur laquelle sont déposés des petits galets.

...pour faciliter la navigation

Ces grands travaux permettent non seulement de mieux circuler sur les berges mais aussi de modifier le cours du fleuve. En effet, le fleuve est caractérisé par des courants obliques qui butent contre les berges. La modification de l’emplacement et de la consistance des berges détermine aussitôt de déplacement des bancs de sable et des creux du fleuve. La transformation volontaire des berges conduit donc à la modification des chenaux de navigation. L’intérêt majeur est de favoriser ainsi la navigation pendant toute l’année, même en période de basses eaux pendant l’été.

La berge de la Loire est ensuite stabilisée grâce à la construction de l’enceinte au IVe siècle, quelques mètres en avant du bâtiment actuel, sous le quai du Châtelet.

Aquamanile en pâte glaçurée. Récipient destiné au lavage des mains et plus généralement aux ablutions. Ce vase a été découvert dans un comblement de latrines daté du IXe siècle (crédits : Pôle d'archéologie, 2016).
Aquamanile en pâte glaçurée. Récipient destiné au lavage des mains et plus généralement aux ablutions. Ce vase a été découvert dans un comblement de latrines daté du IXe siècle (crédits : Pôle d'archéologie, 2016).

Déjà une résidence royale avant l'an Mil ?

Des indices d'un mode de vie aristocratique...

Aucune occupation comprise entre les IIIe et IXe siècles n’est perceptible dans le sondage, car les travaux de terrassement du XIIIe siècle, liés au réaménagement de la résidence royale du Châtelet, ont détruits les vestiges antérieurs.

Les structures identifiées pour les IXe et Xe siècle sont peu nombreuses mais ont livré un mobilier très abondant et varié, renseignant sur les occupants du lieu. Le mode de vie des habitants est caractérisé par une alimentation carnée de grande qualité, par la consommation de nombreux poissons, dont certains d’origine marine comme le carrelet, et par l’utilisation de céramique de très bonne qualité, avec une proportion importante de vases produits hors de l’Orléanais (dont une cruche-aiguière ou aquamanile en pâte glaçurée). Le mode de vie identifié correspond ainsi à celui d’une population privilégiée, que l’on pourrait qualifier d’élite urbaine.

...dans un secteur privilégié de la ville

D’autres faits peuvent être mis en correspondance avec ces premiers éléments. Quelques dizaines de mètres plus au nord, sous les Halles-Châtelet actuelles, les vestiges d’un grand fossé daté du VIIIe-XIe siècle, ont été découverts lors de précédentes fouilles. Il isole tout le secteur de l’angle sud-ouest de l’enceinte, du reste de la ville. Ce secteur est donc bordé au nord par ce grand fossé et à l’ouest et au sud par l’enceinte urbaine. Cela a pu faciliter l’installation d’une résidence de type palais, proche des bords de Loire et donc visible à tout voyageur qui approche de la ville. Elle est de plus facilement fortifiée et isolée du reste de la ville du début du Moyen Âge.

Résidence temporaire des rois de France

Par ailleurs, les textes historiques attestent le séjour de plusieurs rois de France à Orléans, au cours des IXe  et Xe siècles. C’est le cas de Charles le Chauve, fils de Charlemagne, puis de Hugues Capet et son fils, Robert II. Tous signent des actes royaux depuis leur palatium situé à Orléans. La découverte d’un habitat aristocratique, à un emplacement stratégique de la ville, dans l’angle sud-est de l’enceinte antique, encore en élévation au IXe siècle, permet de supposer que la résidence royale et les vestiges découverts au 80 quai du Châtelet ne font qu’un.

Aménagements du cellier du Châtelet médiéval d'Orléans. On voit au centre la fondation d'un pilier de voûte ou de plafond (crédits : Pôle d'archéologie, 2014).
Aménagements du cellier du Châtelet médiéval d'Orléans. On voit au centre la fondation d'un pilier de voûte ou de plafond (crédits : Pôle d'archéologie, 2014).
Distribution des espaces du Châtelet d'Orléans, avec mentions des archives sur un plan d'alignement de la fin du XVIIIe siècle (crédits : Pôle d'archéologie, 2014)
Distribution des espaces du Châtelet d'Orléans, avec mentions des archives sur un plan d'alignement de la fin du XVIIIe siècle (crédits : Pôle d'archéologie, 2014)

Le Châtelet médiéval

Les origines et la forme du palais royal puis ducal

Le terme de Châtelet n’apparaît dans les archives de la ville qu’à partir de 1178. Le mot est alors associé au pont médiéval des Tourelles qui subsiste jusqu’au milieu du XVIIIe siècle. Au XIIIe siècle, la résidence royale fait l’objet d’une importante phase de reconstruction et de restructuration, comme l’attestent les découvertes de 2014, avec la découverte d'un des piliers du cellier. Les archives permettent de restituer les différents espaces du Châtelet au XVe siècle. Il est organisé autour d’une cour fermée, au sud, par la présence des logis seigneuriaux et, à l’est et à l’ouest, par des annexes fonctionnelles. L’entrée principale, au nord, est protégée par une tour-porche. Aujourd’hui, les seuls éléments de la résidence encore visibles sont le portail d’entrée rénové au XVIIIesiècle, rue d’Allibert, et une tour d’angle située rue au Lin.

Organisation intérieure de l’espace

L’élément essentiel du logis est la grande salle, lieu des réunions et des grands festins. Sa façade au sud donne directement sur la Loire. D’après les vues anciennes, elle est éclairée par de grandes baies. Les archives mentionnent des plafonds lambrissés et la présence de cheminées. Le roi, puis le duc à partir de 1344, y mènent leurs affaires publiques. Plusieurs celliers (l’un a été découvert lors des fouilles) se situent sous cette salle et permettent de conserver aliments et boissons. La conservation de produits laitiers et de vin a été identifiée grâce aux restes de céramiques spécifiques retrouvés sur le sol du cellier. À l’est, se développent les pièces privées, les chambres. On en connaît plusieurs : chambre de la Duchesse au 2e étage, chambres à la Tapisserie et des Orties au 1er. Une « chambre a parer » est également mentionnée dans les archives. Il s’agit d’une pièce à mi-chemin entre la fonction de la grande salle et celle de la chambre privée. Au Châtelet, elle est complétée par la chapelle du duc, connue sous le vocable de Saint-Vincent. À ces chambres sont associées d’autres pièces : chambre de retrait (pièce à fonction hygiénique) et chambre aisée (latrines). De part et d’autre de la cour sont localisées les écuries dites « étables », la petite cuisine, le puits attenant et le jardin.

Restitution 3D du Châtelet d'Orléans au XVe siècle, vue depuis la Loire (crédits : L. Josserand, Polytech'Orléans, 2015)
Restitution 3D du Châtelet d'Orléans au XVe siècle, vue depuis la Loire (crédits : L. Josserand, Polytech'Orléans, 2015)
Restitution du Châtelet d'Orléans au XVe siècle, tour-porche d'entrée au nord (crédits : L. Josserand, Polytech'Orléans, 2015).
Restitution du Châtelet d'Orléans au XVe siècle, tour-porche d'entrée au nord (crédits : L. Josserand, Polytech'Orléans, 2015).

Du Châtelet médiéval à la résidence du duc d'Orléans

Résidence du duc, siège du pouvoir mais très tôt délaissé

Quand l’Orléanais devient un duché en 1344, le Châtelet, qui est utilisé lors des séjours royaux, devient une des résidences principales du duc. C’est aussi le lieu du pouvoir administratif et judiciaire de la ville puisqu’on y localise une prison, la recette (service des impôts) et le logis du bailli et de ses lieutenants. Cependant, dès le XVIe siècle, le Châtelet est peu à peu démantelé par la vente progressive des annexes. Il est alors peu fréquenté par les ducs, et, les rois lui préfèrent les palais plus confortables de Châteauneuf-sur- Loire ou Montargis, ainsi que les demeures privées modernes telles que l’hôtel Groslot.

Ceci explique le caractère vieillissant de la résidence telle qu’elle est décrite au XVIIIe siècle.

La disparition progressive du Châtelet

En 1732, une forte crue détruit une partie du pont des Tourelles et endommage certainement le Châtelet. Suite à cette crue, on décide de construire un nouveau franchissement sur la Loire, le futur pont Royal, achevé en 1760. Le pont des Tourelles, devenu inutile, est détruit. Le Châtelet perd alors sa fonction de contrôle de la tête de pont. Avec la construction des quais de part et d’autre du pont Royal, il devient même un obstacle à la circulation en bord de Loire. Au milieu du XVIIIe siècle, les archives conservées dans la librairie du Châtelet sont déménagées à la Chancellerie, place du Martroi. Seuls les notaires occupent encore le vieux palais. C’est en 1796, avec l’exécution du duc d’Orléans, que le sort du Châtelet est scellé. Cette année-là, il est vendu par la ville à l’entrepreneur Benoît Lebrun, pour qu’un nouveau quai soit construit à la place : le quai du Châtelet. La démolition et le percement d’une rue menant directement du nouveau quai au quartier des Marchés (futures Halles) durent jusqu’en 1804. Après ces travaux, B. Lebrun revend les parcelles restantes de l’ancien Châtelet à des particuliers, entre autres la famille Johannet-Culembourg. Ceux-ci font construire l’immeuble actuel à partir de 1812. À la fin du XIXe siècle, l’immeuble subit quelques modifications suite à l’élargissement de la rue des Hôtelleries et donc au réalignement de sa façade ouest. Au XXe siècle, après avoir abrité la Bourse du travail, le bâtiment est réhabilité en 2014 pour devenir une résidence hôtelière. Joli retour en arrière pour ce lieu qui était déjà, au Moyen Âge, la résidence des rois et des ducs lors de leurs séjours à Orléans.


Restitution du Châtelet d'Orléans au XVe siècle, cour intérieure, tour-porche d'entrée au Nord (crédits : L. Josserand, Polytech'Orléans, 2015)
Restitution du Châtelet d'Orléans au XVe siècle, cour intérieure, tour-porche d'entrée au Nord (crédits : L. Josserand, Polytech'Orléans, 2015)
Restitution du Châtelet d'Orléans au XVe siècle, cour intérieure, grande salle, chambre à parer et chapelle Saint-Vincent (crédits : L. Josserand, Polytech'Orléans, 2015)
Restitution du Châtelet d'Orléans au XVe siècle, cour intérieure, grande salle, chambre à parer et chapelle Saint-Vincent (crédits : L. Josserand, Polytech'Orléans, 2015)
Partager sur