Le pygargue à queue blanche : rapace emblématique mais menacé
Le pygargue à queue blanche : rapace emblématique mais menacé
Ce rapace, devenu extrêmement rare dans nos contrées est l'un des plus grands d'Europe. Il est attiré lors de ses migrations dans notre région par la présence de nombreux étangs, de la Loire et de ses affluents. Oiseau symbolique, il est déjà représenté dès l'époque gauloise sur les monnaies carnutes.
Découvrez ici l'histoire passionnante de ce grand rapace, témoin de la bonne santé de nos écosystèmes.
Qui-suis-je ?
Carte d'identité
- Nom : Haliaeetus albicilla
- Famille : Accipitridés
- Taille : 70-90 cm
- Envergure : 190-250 cm
- Poids : mâle env. 4000 g ; femelle env. 5500 g.
- Espérance de vie : 25 ans environ (pour l'individu le plus âgé identifié).
Comment le reconnaître ?
Le pygargue à queue blanche est l'un des rapaces les plus grands d'Europe. Sa queue en partie blanche, son bec jaune et son aspect massif permettent de bien l'identifier quand il est adulte. Les jeunes individus sont eux plus difficiles à distinguer des autres aigles. Ils sont plus sombres que les adultes, de couleur uniforme sur tout le corps et leur bec est noir bleuté.
À partir de leur cinquième année, la tête et le cou sont brun jaunâtre. Le bec et les pattes sont jaunes. La queue cunéiforme devient blanche vers la sixième année de l'individu.
C'est un animal silencieux, sauf quand il se trouve à proximité de son nid. Dans ces cas, il peut émettre des jappements aigus "kli-kli-kli-kli". En cas de danger, il peut produire un bruit de claquement sourd "kleck".
Que mange-t-il ?
Le pygargue recherche pour se nourrir :
- des poissons, morts ou vivants qu'il pêche sans plonger près de la surface de l'eau ;
- des oiseaux d'eaux, surtout sur les lieux d'hivernage ;
- des petits mammifères (surtout en hiver) ;
- des cadavres d'animaux occasionnellement.
Où habite-il ?
Le pygargue privilégie les habitats aquatiques à proximité des côtes maritimes, sur des îles rocheuses et autour des lacs et des rivières. Il construit son nid au sommet des grands arbres ou sur les falaises. Pour cela, le pygargue récupère des grosses branches mortes, les garni de mousses, de lichens et d'herbes sèches. Le nid peut atteindre plusieurs mètres de largeur et de profondeur.
Retrouvez ici des documents pour l'identification du pygargue (plaquette disponible sur le site internet de la LPO Mission rapaces)
Une vie de pygargue
Un oiseau du nord
Le pygargue vit dans les régions du nord et de l'est de l'Europe. On le retrouve particulièrement en Norvège et en Russie où le nombre d'oiseaux comptabilisé dépasse le millier. Il est fréquent en Pologne, Allemagne, Suède, Finlande, dans les pays Baltes avec 50 à plus de 200 individus dans chaque pays. On le retrouve même en Turquie et au Japon. C'est dans ces régions qu'il construit son nid et qu'il se reproduit. En France, un couple nicheur est recensé en Moselle depuis 2011 et l'espèce semble entamer son retour dans d'autres régions comme la Champagne-Ardenne ou la Brenne.
La vie des petits pygargues
À partir de l'âge de cinq ans, le pygargue va commencer à se reproduire. Le couple construit deux à trois nids qu'il peut utiliser de manière alternative d'année en année. De fin janvier à fin avril, la femelle pond deux ou trois oeufs blancs, qui mesurent environ 7 cm de long.
Les oeufs sont couvés pendant environ 35 jours, à tour de rôle par le mâle et la femelle, jusqu'à leur éclosion progressive. Les jeunes sont alors nourris pendant quatre mois, même après leur premier envol. Ils quittent le nid vers l'âge de six mois et se dispersent.
Un oiseau voyageur
C'est à partir de la mi-octobre que les pygargues nordiques arrivent en France pour hiverner. Les rapaces identifiés par des bagues proviennent du nord-est de l'Europe. Les oiseaux migrants sont surtout des jeunes. Ils repartent dans le nord dès la mi-février.
Pour s'installer à l'automne, ils recherchent l'abri des grandes zones humides. C'est pour celà qu'on les retrouve plus particulièrement dans les deux tiers est du pays, notamment en région Centre-Val-de-Loire, où leur présence reste plus occasionnelle qu'en Champagne, en Alsace et en Lorraine. Dans le Loiret et le Loir-et-Cher, ils sont attirés par les étangs et rivières de la Sologne et de la forêt d'Orléans, où ils trouvent de quoi se nourrir en quantité. Au total en France, c'est une dizaine d'individus qui peut être observée chaque année.
Une espèce menacée aujourd'hui
Le pygargue à queue blanche est loin d'être un oiseau anecdoctique dans nos régions avant le XIXe siècle. Cependant, sa population a été drastiquement réduite ces deux derniers siècles et ce pour plusieurs raisons.
Un abattage volontaire
Les sources régionales font état de l'abattage volontaire de ces oiseaux au XIXe et au début du XXe siècle. La raison évoquée est, la plupart du temps, la prédation de ces oiseaux envers le petit gibier et le poisson des étangs. Les rapaces ont souvent été victimes de l'ingestion d'appâts empoisonnés pour réduire leur population.
"... mais [il] est de passage régulier dans toute la France vers la fin d'octobre, on le tue parfois aux environs de Paris..." (Deyrolle 1892).
"Un mâle tué à Cléry décembre 1902 ; un autre mâle à La Ferté-Saint-Cyr, même date. Une femelle jeune a été tuée le 24 novembre 1929 par le garde du château du Mesnil (vicomte de Curel), près de Dhuizon, au bord d'un étang, au moment où elle venait de lier une poule faisane" (Tristan 1932).
La perte de son habitat naturel
Le pygargue a besoin des zones humides pour se nourrir. Ces milieux sont cependant très sensibles et ont beaucoup disparu au XXe siècle en raison des drainages pour l'agriculture et l'aménagement, ainsi que de la déforestation.
Premières victimes de la pollution
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, le nombre déjà réduit de pygargues diminue fortement. En effet, c'est un oiseau très sensible du point de vue de la reproduction. La présence grandissante de pesticides organochlorés et de métaux lourds dans les cours d'eaux implique une très grande stérilité des oeufs. En l'absence de renouvellement de sa population, l'espèce a tendance à disparaître progressivement jusque dans les années 1980.
Vers une protection de l'espèce
La prise de conscience de la disparition du pygargue a incité les organismes environnementaux et certains gouvernements à protéger les nids par la préservation de ses zones d'habitats naturels. Le nourrissage des oiseaux en hiver les a aussi rendus moins sensibles aux aléas naturels. Plusieurs essais de réintroduction ont été menés, notamment en Écosse et en République Tchèque où l'oiseau avait totalement disparu à la fin des années 1980.
En France, il s'agit aujourd'hui d'une espèce menacée (CITES), inscrite sur la liste rouge des espèces menacées en France dans la catégorie "En danger critique d'extinction".
Archéologie du pygargue
Les données archéologiques nous renseignent principalement sur la répartition géographique de l'espèce et son comportement avant son élimination.
Une espèce autochtone de France...
Des restes d'ossements de pygargue ont été retrouvés sur des sites archéologiques datés du Paléolithique, dans le sud de la France et en Corse. On le retrouve ensuite ponctuellement au Néolithique en Bretagne. Dans cette région, sur l'île de Houat dans le Morbihan, des restes d'un poussin attestent que l'espèce se reproduisait localement à l'époque.
Plusieurs exemplaires ont été identifiés pour les périodes plus récentes, depuis l'âge du Bronze jusqu'au Moyen Âge, depuis le nord de la France jusqu'à Marseille. Il semble qu'avant le XVIe-XVIIe siècle, l'oiseau se soit reproduit en France, comme aujourd'hui dans le nord de l'Europe. Dès cette époque l'oiseau semble avoir été petit à petit éliminé de notre territoire. Plusieurs auteurs signalent cependant qu'il a pu encore se reproduire en Corse jusqu'au début du XXe siècle.
...présente à Orléans au moins depuis l'âge du Fer
Plusieurs sites archéologiques orléanais ont livré des restes de pygargue à queue blanche.
Le premier d'entre eux est situé sur la commune d'Orléans, au 8-10 rue Porte Madeleine. Sur ce site, la découverte est assez spectaculaire, puisque ce sont trois pygargues adultes qui ont été mis au jour. Les oiseaux avaient été déposés soigneusement, sur le ventre, côte à côte, dans une grande fosse datée du IIe ou du Ier s. av. J.-C. Les mâles ont été déposés de chaque côté d'une femelle. La raison de ce dépôt n'est pas connue : les animaux n'ont pas été tués pour la consommation puisqu'ils sont déposés entiers et les causes de leur mort n'ont pas été identifiées (chasse, maladie, prédation ?).
D'autres sites ont livré des restes plus fragmentaire de pygargues. La fouille de la place du Cheval Rouge à Orléans a livré un radius de pygargue, rejeté dans une couche datée de l'Antiquité. Enfin d'autres fragments ont été identifiés lors d'une fouille à Saran, dans un souterrain daté du Xe-XIe siècle. Il s'agit ici d'un animal incomplet (fémur, vertèbres, phalanges, griffes et os de l'aile).
Un oiseau symbolique
La présence du pygargue sur plusieurs sites archéologiques pose question. À Orléans, l'abattage pour la consommation ne peut être la raison du dépôt de ces ossements. Par ailleurs, le régime alimentaire du pygargue ne semble pas plaider en faveur de son utilisation pour la chasse au vol, contrairement aux aigles. Si les dépôts d'animaux sont fréquents pour la fin de l'âge du Fer en France, il s'agit presque exclusivement d'animaux domestiques.
La présence d'un oiseau, qui plus est un rapace sauvage dans un dépôt de l'époque gauloise revêt un caractère très particulier. Ceci incite à interpréter le geste comme un symbole spirituel, peut-être un statut social particulier de la personne responsable de celui-ci.
Il faut par ailleurs noter que les monnaies carnutes figurent un rapace, notamment celles que l'on suppose frappées à Orléans. L'animal figuré peut-il correspondre à un pygargue ? Ceci reste une hypothèse, mais il est vrai que ce type d'animaux, massif et imposant, peut clairement symboliser la puissance, la liberté et l'agilité, à l'image du cousin "Pygargue à tête blanche" utilisé comme symbole des États-Unis d'Amérique. Le pygargue à queue blanche pourrait ainsi avoir été le symbole du peuple Carnute avant la conquête romaine.
Pour en savoir plus
Ouvrages édités
- Deyrolle 1892
Deyrolle E., Histoire naturelle de la France. 3e partie. Oiseaux..., Paris, France : É. Deyrolle. - Dubois et al. 2008
Dubois P. J., Yésou, Le Maréchal P., Nouvel inventaire des oiseaux de France, Paris, France : Delachaux et Niestlé. - Géroudet 1979
Géroudet P., Les rapaces diurnes et nocturnes d’Europe, 5eme edition, Neuchâtel, Suisse : Delachaux et Niestlé. - Grzimek et al. 2003
Grzimek B., Jackson J. A., Bock W. J., Olendorf D., Trumpey J. E., Hutchins M., Grzimek’s animal life encyclopedia. 8, Birds I., Detroit, Etats-Unis d’Amérique : Gale. - Hoyo et al. 1994
Hoyo J. del, Elliott A., Sargatal J. (éd.), Handbook of the birds of the world. Volume 2, New World vultures to Guineafowl, Barcelona, Espagne : Lynx Ed. - Issa, François 2015
- Issa N., François J.,Pygargue à queue blanche in Issa N. & Muller coord., Atlas des oiseaux de France métropolitaine. Nidification et présence hivernale. LPO / SEOF / MHNN. Delachaux et Niestlé, Paris.
- Svensson 2004
Svensson L., Le guide ornitho: les 848 espèces d’Europe en 4000 dessins, Paris : Delachaux et Niestlé. - Tresset et al. 2003
Tresset A., Lorvelec O., Vigne J.-D., Pascal M., « Le Pygargue à queue blanche : Haliaeetus albicilla (Linné, 1758) », in Pascal M., Lorvelec O., Vigne J.-D., Keith P., Clergeau P. (éd.), Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et extinctions, rapport au Ministère de l’Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages) [en ligne], Paris : Inra, CNRS, Museum national d’Histoire Naturelle, URL : https://inpn.mnhn.fr/docs/inventaires/rapport.pdf [lien valide au 10 mai 2017]. - Tristan (Marquis de) 1932
Tristan (Marquis de), La Faune ornithologique de la région orléanaise et en particulier de la Sologne, Orléans, France : René Houzé.