Fantasmes et légendes

Fantasmes et légendes

Les cavités, en tant que lieux souterrains peu accessibles, font généralement l’objet de propos plus ou moins fantasmés et ont donné lieu à des légendes urbaines, même récemment. Posez la question à un orléanais, il y a de grandes chances qu’il vous parle de souterrains visités dans son enfance avec ses copains, qui reliaient la ville d’un bout à l’autre... voire même qui passaient sous la Loire !

De tous temps, le caractère mystérieux des cavités souterraines a été le support de légendes et de mauvaises interprétations. Les paragraphes qui suivent permettent, pour le cas d’Orléans, de rendre compte de certains de ces fantasmes et d’en analyser les sources et leur ancrage ou non dans la réalité.

Entrée de carrière dans une cave de maison à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2017)
Entrée de carrière dans une cave de maison à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2017)

Des souterrains immenses...

Pour de nombreuses personnes ces souterrains sont une réalité liée à leur enfance : « Je me souviens quand j’étais gamin, avec les copains on avait traversé toute la ville et on m’a même dit il y a longtemps que certains souterrains passaient sous la Loire ! ».

Il est vrai que ces cavités, en particulier les carrières, sont très souvent accessibles à partir des caves des maisons d’Orléans. Quand on descend à 12 m sous terre, la perte de repères géographiques et temporels est immédiate. Sans plan pour se guider, la plupart des carrières paraissent immenses, avec des cheminements induisant des tours et des détours, des retours involontaires au point de départ... À l’échelle d’un enfant et à la lueur d’une lampe torche, ce gigantisme est accru. De là, il n’y a qu’un pas pour imaginer que l’on a parcouru la moitié de la ville en passant d’un souterrain à l’autre.

Selon Pierre Hamel, les carrières orléanaises sont faites de manières artisanales et chacune est construite différemment selon les besoins domestiques du ou des propriétaires. Les carrières sont en effet creusées de manière très normée, et surtout leur emprise correspond à la parcelle du propriétaire en surface. Ce ne sont donc pas des souterrains reliés entre eux de manière continue, mais une multitude de cavités qui existent sans lien les unes avec les autres. Parfois, selon les aléas des rachats de propriétés, des réunions ou des divisions de parcelles, certaines carrières sont réunies ou divisées, complexifiant encore la vision que l’on peut se faire de leur plan.

... qui passent sous la Loire

En ce qui concerne les souterrains qui passeraient sous la Loire, et que même Jeanne d’Arc aurait empruntés en 1429 (!) selon Bernard Lhuillery, spécialiste de l’archéologie souterraine, la nature du lit de la Loire aurait nécessité de creuser jusqu’à 70 mètres de profondeur pour construire une cavité, sans aération possible ni aucun moyen d’évacuer les infiltrations d’eau inévitables dans le substrat calcaire. De manière technique, le passage sous les fleuves, notamment pour la construction de lignes de métro est très récent. Le premier exemple de cette prouesse technique est celui du creusement de la ligne 4 du Métropolitain à Paris en 1910, sous la direction de l’ingénieur Fulgence Bienvenüe. Il avait fallu alors congeler le sol grâce à une injection de saumure de chlorure de calcium, refroidie à moins 27 degrés, afin d’obtenir un terrain gelé et sec, pour creuser le tunnel à 17 m de profondeur seulement, sous le sol parisien. Une prouesse techniquement impossible à mettre en œuvre à Orléans au Moyen Âge !

Ossuaire sous l'église Saint-Paul / Notre-Dame-des-Miracles à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2018)
Ossuaire sous l'église Saint-Paul / Notre-Dame-des-Miracles à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2018)
Scanner 3D de la crypte Saint-Avit à Orléans, début du 11e siècle (crédits : SICAVOR, 2018)
Scanner 3D de la crypte Saint-Avit à Orléans, début du 11e siècle (crédits : SICAVOR, 2018)
Crypte Saint-Aignan à Orléans, début du 11e siècle (crédits : Jean Puyo, 2018)
Crypte Saint-Aignan à Orléans, début du 11e siècle (crédits : Jean Puyo, 2018)

Catacombes, ossuaires et cryptes

Les catacombes, du latin ad catacombus, « près de la carrière », sont des cimetières souterrains en forme de galeries dont les parois sont creusées de tombeaux superposés. Elles servaient dans un premier temps de nécropoles, aménagées par les chrétiens au cours du IIe siècle, autour des tombes des martyrs pour ainsi attirer des pèlerins. Les seules véritables catacombes sont celles de Rome.

Partout ailleurs, quand des ossements sont regroupés dans des espaces souterrains, il s’agit d’ossuaires. Ce sont soit une pièce d’un bâtiment soit une urne où sont rassemblés des ossements humains.

C’est le cas de la carrière sous l’église Saint-Paul d’Orléans, découverte en 1940 par Pierre Hamel. Les sous-sols ne renferment pas des catacombes mais bien un ossuaire ou une fosse commune. À l’origine, c’est une ancienne carrière d’extraction de calcaire, comme bon nombre de sous-sols orléanais, réaménagée en cave (devient une cave-carrière), puis un ossuaire ou fosse commune. Ce dernier est réalisé afin de désencombrer le grand cimetière Saint-Paul, qui se trouvait derrière l’église au XVIIIe siècle. Sa redécouverte en 1940 a donné lieu plusieurs années plus tard à un agencement des ossements dans deux espaces réduits. Le puits ovale encore accessible aujourd’hui a servi pour la descente des cercueils.

Quant aux cryptes, ce sont généralement des caveaux souterrains construits, enterrés ou non, sous une église et servant généralement de sépultures de martyrs ou à la protection des reliques. Deux cryptes sont toujours visitables aujourd’hui à Orléans : les cryptes Saint-Avit et Saint-Aignan situées sous les églises du même nom.

En mai 1969 naît, se répand et se déploie à Orléans, le bruit qu’un, puis deux, puis six magasins d’habillement féminin du centre de la ville organisent la traite des Blanches. Les jeunes filles sont droguées par piqûre dans les salons d’essayage, puis déposées dans les caves, d’où elles sont évacuées de nuit vers des lieux de prostitution exotique

Edgar Morin, la Rumeur d'Orléans, 1970, p. 17

La Rumeur d'orléans couverture du livre d'Edgar Morin
La Rumeur d'orléans couverture du livre d'Edgar Morin

De la rumeur à la légende urbaine

Le ton est donné ! Une rumeur d’une grande ampleur s’abat sur la ville orléanaise ! Évidemment, aucune disparition n’a été signalée. C’est en lisant l’article dans le journal  Le Monde, titré « Des femmes disparaissent à Orléans. Canular ou cabale ? », publié le 7 juin 1969, qu’Edgar Morin prend connaissance du phénomène.

Edgar Morin, alors philosophe et sociologue, se rend à Orléans suite à l’affaire. Il enquête sur ces mystérieuses disparitions. En 1969, il publie une analyse et une synthèse sur La Rumeur d’Orléans. Au-delà de l’analyse sociale et politique de l’affaire, l’utilisation des cavités orléanaises comme moyen de ces supposés enlèvements fait de nouveau appel aux fantasmes induits par ces lieux souterrains, peu accessibles et supposés former un réseau unique de circulation sous la ville. Les arguments cités plus haut montrent qu’il n’en est rien.

Cette rumeur s’est développée durant plus de vingt ans et s’est propagée à des dizaines d’autres villes de France (Toulouse, Tours, Limoges, Douai, Rouen, Lille, Valenciennes, Le Mans, Poitiers, Grenoble et jusqu’en Corée !). Les nombreux articles de presses écrits sur le sujet jusque dans les années 2010, montrent l’impact de ce type de rumeur sur les esprits, même plusieurs décennies après.

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