L'archéologue : un scientifique en manque de reconnaissance ?
Amateurs et professionnels, une entente précieuse
L’archéologie est une discipline scientifique, de l’ordre des sciences humaines, qui s’est professionnalisée tardivement, au courant du 20ème siècle. Les bénévoles, amateurs et érudits ont longtemps joué un rôle majeur dans sa constitution et continuent aujourd’hui encore à participer activement à l’enrichissement des connaissances archéologiques. Une archéologie populaire, hors des circuits institutionnels, s’est donc érigée depuis le 19ème siècle et perdure, particulièrement en milieu rural. Bien souvent les bénévoles et archéologues amateurs sont férus d’histoire locale et attachés à la culture historique et patrimoniale. Depuis la professionnalisation du métier avec les débuts de l’AFAN, la situation a évolué et s’il est commun de croiser des amateurs sur des chantiers en tant que bénévole, il est plus rare d’en voir agir en tant que responsable d’opération agréé par l’État, même si le cas peut exister. Pour autant, les archéologues amateurs ont bénéficié, et bénéficient toujours, d’une certaine légitimité lorsque leur démarche est cohérente avec la méthodologie archéologique. Il n’est donc pas inhabituel de trouver des propos archéologiques de qualité en dehors des sphères académiques. Cette ambivalence a pu conduire certains à prendre cette science avec peu de sérieux, imaginant que tout un chacun peut produire des données archéologiques, avec ou sans formation, et mettant ainsi des personnalités controversées telles que Jacques Grimault au même niveau que des archéologues aguerris, sous prétexte de l’existence d’un réseau d’archéologues amateurs.
Une vision fantasmée de l'archéologue...
Du reste, la représentation de l’archéologue dans les médias de fiction intervient également dans la construction de cet imaginaire collectif. De très nombreux récits dépeignent les archéologues comme des aventuriers (Lara Croft, Indiana Jones), des chasseurs de trésors dont l’image n’est pas si éloignée de celle véhiculée par les archéologues romantiques. Archéologie et ésotérisme vont de pair dans certains récits fantastiques (la malédiction de Toutankhamon, le géant de Cardiff, etc.) et jouent de l’inconnu pour faire flotter un mystère qui pourrait s’expliquer par des raisons surnaturelles. Malgré l’aspect laudatif de certains de ces stéréotypes (l’archéologue courageux, déterminé et intrépide), ils contribuent à véhiculer une image erronée d’un métier qui est en réalité régi par les mêmes lois du travail que le boulanger ou le médecin.
Les « chercheurs de vérité », tels qu’ils se décrivent, viennent puiser leur inspiration dans d’autres types de clichés : par exemple l’intellectuel savant entêté qui refuse de partager ses informations à un public non initié qu’il méprise, qui réfute tout argumentaire et travaille pour assouvir une gloire personnelle. Comble de l’ironie, cette vision s’adapte très mal au profil de l’archéologue typique : généralement passionné, l’archéologue se retrouve souvent à expliquer aux passants et aux curieux les enjeux du site qu’il fouille, il participe sur son temps libre à des événements de valorisation et il encourage les bénévoles et les amateurs à rejoindre des chantiers de fouille programmée. La mise en place d’ouverture de chantiers de fouilles, de visites de sites ou d’événements tels que les Journées Européennes de l’Archéologie témoignent d’une volonté de partager ces connaissances au plus grand nombre.
...qui contribue à une dychotomie entre science "dure" et science "molle"
Comment expliquer que des individus sans aucune connaissance ou formation puissent se croire légitimes à contredire des spécialistes ayant étudié et travaillé sur un sujet pendant plusieurs années ? Ce genre de comportement n’est pas propre au domaine de l’archéologie : il est possible d’apercevoir sur des plateaux télévisions, des chaînes de vidéos ou pages internet, des spécialistes auto-proclamés en médecine, économie ou politique. Pourtant, comparativement, l’archéologie génère énormément de contenu qualifié de pseudo-science. Il n’est pas anodin de constater que dans l’esprit commun, une certaine hiérarchie se dessine entre les sciences ; les sciences sociales sont souvent opposées aux sciences mathématiques ou chimiques, voire rabaissées ou même considérées comme des domaines non scientifiques. Un amalgame est souvent effectué entre « sciences » et « mathématiques » ; le premier ne pourrait pas être qualifié en tant que tel sans le second.
Pourtant, c’est la méthodologie qui détermine l’aspect scientifique d’une discipline, et la rigueur avec laquelle elle est appliquée à des raisonnements logiques. C’est précisément cette méthodologie qui permet de dépasser la croyance, l’hypothèse sans fondements, pour présenter des faits qui s’appuient sur des preuves tangibles. La recherche scientifique est constituée de tout un ensemble de processus : la découverte d’un élément entraîne la mise en place d’expérimentations ou d’hypothèses logiques qui doivent laisser le moins d’éléments possible au hasard. L’observation neutre et objective de l’élément étudié doit être décrite de manière exhaustive. L’analyse des résultats peut suivre un raisonnement inductif, déductif ou probabiliste qui doit être justifié pour commenter les hypothèses, et la possibilité de ne pas avoir de réponse concluante doit exister. L’aspect provisoire des conclusions est primordial, car elles doivent être discutées et peuvent être remises en question par des pairs, ou ultérieurement, par de nouvelles hypothèses. Un chercheur peut difficilement atteindre une objectivité ultime ; il est toujours porteur d’un certain biais qui lui est propre de par son vécu, sa culture et sa personne. La méthodologie scientifique existe pour essayer de contrebalancer ce biais naturel, et aboutir à des réflexions qui se veulent dénuées de jugement personnel.
Constituées plus récemment que les mathématiques ou les sciences de la terre, les sciences humaines souffrent de ce comparatif, et aux yeux de certains reposent sur un bon sens que chacun peut pratiquer à bon entendeur. Non régis par des lois mathématiques, physiques ou chimiques, les comportements humains seraient moins complexes à expliquer que la rotation de la terre ou l’astronomie. Ainsi, en pratique, chacun est en mesure de produire un raisonnement archéologique. La proximité entre amateurs et professionnels qui fait la richesse de l’archéologie est détournée pour mettre au même plan « chercheurs de vérité » et experts, dont la parole est détournée, ridiculisée ou simplifiée.
Lorsqu’on y regarde de plus près, la démarche des « chercheurs de vérité » n’a rien de scientifique : elle est émotionnelle et se fonde sur des croyances. L’objectif n’est pas d’évoquer une hypothèse et de la discuter, mais de l’affirmer en la présentant comme un fait irréfutable. La simple opposition des chercheurs sert de caution au raisonnement, et vient donner du poids à un argumentaire dépourvu de raisonnement logique. L’enjeu n’est pas de prouver une théorie, mais de convaincre un public. Or, ce type de comportement est caractéristique des milieux complotistes : ces derniers s’appuient sur des craintes, des doutes -des émotions- pour présenter des théories sous un aspect pseudo-logique.