Nouvelles technologies, nouvelles pratiques ?

Nouvelles technologies, nouvelles pratiques ?

Les histoires frauduleuses concernant des découvertes archéologiques précèdent l’invention des réseaux sociaux ; les nouvelles technologies sont un outil et non une cause de l’apparition de ces discours révisionnistes. Chaque évolution technologique qui vient grandir le rang des médias se dote d’une légitimité supplémentaire. Elle permet alors à ces discours de toucher un public toujours plus grand, et s'impose comme une source d'informations. Avec l’apparition d’Internet, qui met en relation des individus en abolissant toute contrainte spatiale et temporelle -et plus récemment, linguistique !-, ces récits gagnent une popularité nouvelle. Forum, blogs, réseaux sociaux, hébergeurs de vidéos (Youtube, Dailymotion…), sont autant de plateformes par lesquelles ces informations se diffusent.

Pourquoi un tel engouement ? Le public pour ce genre de récit s’est-il élargi ? Les gens sont-ils davantage intéressés par l’archéologie et ses dérivés mystiques ?

En réalité, il est probable que le noyau dur composant les personnes qui croient et diffusent ce genre d’informations ne s’est pas véritablement accru, mais que le cercle des personnes touchées ou exposées à ces informations s’est lui agrandi. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’essor d’un public nouveau ces dernières années. En premier lieu, la mise à disposition d’Internet pour les foyers a entraîné l’apparition d’un nouveau facteur primordial : l’immédiateté de l’information et de son transfert. Elle peut être publiée en quelques instants, généralement sans instance de validation, et peut être partagée tout aussi rapidement. La majorité des sites intègre désormais une fonctionnalité permettant d’encourager le partage vers d’autres plateformes, avec pour but d’augmenter leur visibilité dans l’immensité des pages existant sur le Web. Le partage peut s’effectuer aussi bien dans des sphères publiques (sur des pages visibles à tous les internautes) que dans les sphères privées (conversations). La gratuité des plateformes joue également un rôle dans cette diffusion, car le contenu est souvent présenté en accès libre.

Enfants jouant sur un ordinateur Amstrad CPC464, 1988 (Wikipedia Commons)
Enfants jouant sur un ordinateur Amstrad CPC464, 1988 (Wikipedia Commons)
L'information sur Internet

Internet a modifié la manière dont les individus se renseignent, quelle que soit la nature des sujets ; les plateformes de vidéos et réseaux sociaux prennent de plus en plus d’importance chez les plus jeunes, tandis que la majorité des français s’informent en ligne. En proposant des abonnements en ligne permettant de visualiser les articles en numérique, la presse écrite compense la perte de vitesse des abonnements physiques. Entre les réseaux sociaux et les articles de presse, la qualité de l’information proposée se creuse de manière phénoménale : les déclarations de trois chercheurs -autoproclamés- italiens, Corrado Malanga, Filippo Biondi et Armando Mei en sont un exemple parfait. La fracture entre les médias traditionnels (télévision, journaux) et les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, TikTok, Twitter/X) se cristallise particulièrement autour des plateformes qui n’imposent aucune vérification du contenu publié. En effet, les profils des personnes postant du contenu spécialisé (scientifique, médical, etc.) ne font l’objet d’aucune modération de la part des administrateurs des réseaux sociaux. Chaque utilisateur est libre de se présenter détenteur de diplômes ou de qualifications sans avoir à présenter de preuves : le contenu de tout un chacun est légitimé dès lors qu’il est public. L’internaute moyen est submergé d’informations en continu ; s’il n’est pas dans ses habitudes de vérifier le contenu auquel il est confronté, seule sa méfiance et ses connaissances lui permettront de repérer les infox.

En complément de cette possibilité matérielle de répandre des informations de manière fulgurante, le discours est adapté pour être compris par le plus grand nombre. Pour compléter ce tableau, des outils de plus en plus nombreux permettent de créer de fausses informations de toutes pièces, trompant l’œil le plus aguerri. Les photos truquées ont fait leur apparition peu de temps après la création de l’appareil photo, aussi n’est-il pas surprenant de constater l’existence des photomontages sur le Web qui apparaissent dès les années 2000. Cependant, tout récemment, la mise en ligne de services d’intelligence artificielle générative gratuits et accessibles à tous a d’autant plus facilité la création d’images fictives et complexifie l’authentification des faits présentés. Aux fausses informations se rajoutent aujourd’hui de fausses images, qui permettent d’illustrer les inventions les plus saugrenues avec un réalisme dépassant de loin le montage photographique d’un amateur.

Les géants, une niche très populaire sur les réseaux sociaux

Publiée en 2016 sur Facebook, ce carrousel de photos contient deux photos issues d'un concours de photomontage, tandis que la troisième montrant un squelette exposé en pleine rue est une oeuvre artistique réalisée en 1998 par l'artiste italien Gino de Domicis. Pour en savoir plus, consultez le dossier réalisé par l'AFP pour démontrer la supercherie. 

La thématique des géants, et notamment dans un contexte religieux lié à certains textes provenant d'écrits sacrés, sont particulièrement populaires dans le cadre de photomontages et légendes archéologiques du Net. Plus d'un siècle après l'histoire du géant de Cardiff, le sujet fascine toujours autant ! 

Les réseaux sociaux, ennemi ou allié des chercheurs ? 

Les algorithmes des réseaux sociaux fournissent à leurs internautes une expérience fondée sur un contenu similaire : il suffit de consommer -accidentellement ou volontairement- un certain type de contenu pour que le site mette en avant le même type d’éléments. Des contenus contradictoires ou opposés existent toujours, mais il faut dès lors faire un effort volontaire pour les rechercher. L’internaute est noyé sous un flot informatif qui l’emmène progressivement vers des comportements communautaristes. La possibilité de commenter sur ces contenus permet de mettre en relation des individus partageant les mêmes valeurs et visions, qui auraient pu ne jamais se croiser en dehors de ce monde virtuel. Le web crée des communautés et amplifient les voix de ceux qui se sentent invisibilisés par les instances institutionnelles. En outre, ce type de comportement est caractéristique de ce qui est appelé l’« identity-protective cognition » : non seulement les individus s’orientent davantage vers du contenu qui est en accord avec leurs valeurs et leurs pensées, mais ils sont également plus réticents à reconnaître la véracité d’une information qui n’abonde pas dans leur sens.

Pourtant, tous ces éléments sont autant de facteurs qui pourraient contribuer à la diffusion d’informations scientifiques ; de nombreuses publications spécialisées sont également disponibles gratuitement sur le web, peuvent être partagées ou discutées en ligne. Cependant, elles se diffusent en dehors de leurs cercles d’origine beaucoup plus lentement et moins efficacement que les infox. Une multitude de raisons peuvent expliquer ce phénomène ; pour n’en citer que quelques-unes, notons d’abord que l’objectif diverge en tout point. Les informations scientifiques sont mises à disposition dans le but d’exposer l’état de la recherche, d’appeler à une réflexion collective et d’informer le grand public. Elles sont donc présentées de manière factuelle, au sein de réseaux institutionnels parfois inconnus des personnes non-initiées. De surcroît, la mission principale du chercheur est avant tout de produire des données sur un sujet ; la communication de ces données fait partie de ses tâches, mais elle n’est généralement pas sa spécialité. Un chercheur maitrise moins les réseaux de communication qu’un influenceur ou un journaliste, et ne cherche pas à axer sur l’aspect spectaculaire ou racoleur d’une information.

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