Le commerce des infox archéologiques et ses dérives
Le commerce des infox archéologiques
En parallèle des contenus amateurs, il existe de nombreux documentaires ou émissions véhiculant des informations fausses sur des sites archéologiques ou des civilisations passées. Baptisés « documenteurs », ces films sont réalisés par des équipes professionnelles reprenant les codes des documentaires diffusés sur les chaînes télévisées. Pour un public non averti, une certaine légitimité leur est attribuée grâce à leur diffusion dans des cercles médiatiques de grande diffusion (télévision, plateformes de streaming).
Des pyramides et des hommes aliens
Tel est notamment le cas du très célèbre Révélation des pyramides, réalisé par Patrice Pouillard, qui a été visionné plusieurs millions de fois sur Youtube, et est continuellement diffusé sur les chaînes de télévision française (RMC Découverte). Fruit d’une collaboration entre deux hommes, le film s’inspire très lourdement des positions de Jacques Grimault, auteur et conférencier qui promeut une vision occulte de l’histoire. Cependant, l’objectif de ce type de long-métrage n’est pas de présenter un site ou une découverte, mais une idée à laquelle sont ensuite rattachés des arguments afin de la rendre crédible. Les sources sont souvent absentes, controversées ou même volontairement faussées.
Pour autant, il faut le reconnaître, leur production témoigne d’une certaine qualité de mise en scène : pour reprendre l’exemple de la Révélation des pyramides, la narration se concentre sur une voix-off représentant un personnage (l’incarnation de Jacques Grimault ?) qui défend sa thèse envers et contre tous. Le discours est manichéen, opposant archéologie « officielle » et recherches individuelles, le champ lexical relève du mystère (« tabou », « hérétique », « je dois vous confier », « intuition »), de l’aventure (« chasse au trésor », « aventure », « enquête », « j’ai risqué »), le tout aux dépens d’une méthodologie scientifique inexistante. Les procédés mis en œuvre appellent à l’émotion ; l’opinion du réalisateur est transcrite par la prise de parole à la première personne, relatant souvenirs et opinions, mais restant flou sur l’origine de certaines réflexions ou sources : « un scientifique » mystérieux guide le narrateur sans jamais être nommé ou montré, et l’oriente vers de nouvelles hypothèses à chaque obstacle.
Les jugements de valeur envers le travail des scientifiques foisonnent (« petit dessin magique », « on avait pas jugé bon de le faire », « savoir si tel vase contenait du miel ou du lait me paraît plus qu’anecdotique »). Une caution scientifique est toutefois recherchée à travers les interviews de spécialistes divers : cependant, un œil attentif remarquera que les spécialistes en question font des observations très basiques qui servent d’appui pour les conclusions personnelles du réalisateur. Cette forme de manipulation sert à récupérer la caution scientifique de ces spécialistes pour fournir une explication qui n’est pas du tout évoquée. La parole des spécialistes est tronquée ou simplifiée pour correspondre aux propos du réalisateur, ce qu’ils ont notamment dénoncé par la suite.
Le problème de rigueur scientifique de ce type de contenu s'illustre très bien par cette capture d'écran du film de Patrice Pouillard : afin d'appuyer la thèse de l'existence d'une civilisation avancée à l'époque antique, le réalisateur choisit d'insérer une image provenant du film de Georges Lucas, Un Nouvel Espoir (Star Wars IV), qui est bien une oeuvre de fiction, et non un film attestant de l'existence de civilisations extra-terrestres.
Chasse au trésor mystique
La professionnalisation de ce type de contenu entraîne une génération de revenus ; des financements participatifs sont mis en place pour proposer une suite à la Révélation des pyramides, le visionnage sur des plateformes telles que Youtube est rémunéré lorsqu'il dépasse un certain seuil, tandis que la visibilité sur les réseaux sociaux peut également l’être par le biais de partenariats commerciaux.
Le public friand de ce type de reportage ne s’insère pas dans une démarche scientifique ; il participe à une quête pour la « Vérité », voire plus prosaïquement à une chasse au trésor. Le spectateur est presque complice du réalisateur : il est mis dans la confidence d’un secret inavouable que veulent taire les archéologues. Bien plus vendeur que de nombreuses années de recherches qui présentent un faisceau d’indices permettant de constituer une hypothèse qui ne sera pas jamais exposée avec une certitude absolue, le mystère permet d’offrir une réponse à toutes les inconnues de toutes les civilisations. Il crée une information sensationnelle, révolutionnaire, accessible immédiatement et sans contrepartie, qui crée même parfois un lien entre le passé et le présent, entre des controverses contemporaines et des mystères anciens. Les documenteurs, fake news et rumeurs contribuent à véhiculer des idées qui relèvent de la croyance et non de la science.
Archéologie et complotisme
Si, à première vue archéologie et complotisme ne semblent pas avoir grand-chose en commun, on peut constater à quel point les infox archéologiques viennent créer une passerelle entre ces deux mondes. Beaucoup d’éléments se chevauchent entre milieux complotistes et documentaires de pseudo-science : l’appel à l’émotionnel, une opposition manichéenne entre réseaux « officiels » et chercheurs de vérité qu’on essaye de faire taire, le champ lexical du secret et de la controverse. Dans le cadre des récits de fausses informations archéologiques, le chercheur est affilié à l’État -et parfois même au gouvernement, signe d’une confusion entre les deux entités-, aux hautes instances académiques, ce qui contribue à lui faire perdre d’emblée sa légitimité. Pourtant, il est important de rappeler qu’en France, les archéologues professionnels ne sont pas tous des agents de la fonction publique : de nombreuses associations ou entreprises privées sont habilitées à diriger des fouilles. Mais là n’est pas l’importance, puisque archéologues, historiens, géologues ou autres spécialistes seraient tous unis par une mission secrète de tenir à l’écart le grand public de certaines informations confidentielles. Le parcours et les diplômes des spécialistes ne sont alors plus un argument d’autorité, et servent au contraire à justifier une méfiance envers toute la communauté. Les chercheurs de vérité ont un sentiment de persécution, voire d’infériorité, qui a trait à une forme de victimisation et de ressentiment : dans La Révélation des Pyramides, la narratrice déclare : « Si j’étais archéologue […], mais je ne le suis pas, ce que l’on ne manquera pas de me rappeler ».
Conspiration et rhétorique
Aussi n’est-il pas surprenant de repérer des arguments rhétoriques typiquement employés au sein des milieux complotistes ; la persécution fantasmée par les chercheurs de vérité leur attribue une légitimité qui sous-entend forcément l’existence d’un complot. Ignorés et rejetés par les sphères académiques « officielles », ils seraient méprisés pour leur absence de diplômes ou d’expérience. En réalité, et depuis les premières affaires de rumeurs ou canulars, des experts se sont toujours positionnés dans le cadre d’un discours scientifique pour démontrer l’inexactitude des propos évoqués, sans pour autant qu’il soit possible d’évoquer une forme de persécution. La liberté d’expression, notamment sur le web, devient ainsi un point ardemment défendu par les complotistes afin de pouvoir professer leurs théories en toute légalité. Pour autant, s’ils revendiquent leur liberté d’expression, le débat rationnel ne fait pas partie de l’apanage des complotistes, qui réfutent tout argument concret provenant d’une institution. Une source principale est généralement érigée en preuve irréfutable, tandis que les très nombreuses sources présentées par leurs détracteurs sont balayées d’un revers de la main, sous prétexte d’un mensonge soigneusement élaboré depuis des décennies, voire des siècles.
Le recours à l’évidence fait également partie des arguments rhétoriques de ces milieux : d’après ces « chercheurs de vérité », les preuves avancées relèveraient du bon sens dont chacun peut user. L’évidence ne se questionne pas, et il ne serait donc pas nécessaire de la justifier, car elle s’impose à tous. Elle peut être énoncée avec certitude et en utilisant un ton condescendant. Les recherches scientifiques seraient alors soit le signe d’une incompétence qui fait perdre temps et argent, soit le signe d’un complot. A l’inverse, les dires des experts sont rapportés au conditionnel avec une certaine distance.
L’existence des discours de pseudo-sciences et leur imbrication avec les milieux complotistes est un phénomène à traiter sérieusement car il peut engendrer de véritables préjudices sociaux ou moraux. Derrière des questions d’origine des civilisations se jouent parfois des desseins plus sombres qu’une simple curiosité intellectuelle : les dérives idéologiques se multiplient en s’appuyant sur de fausses informations scientifiques.
On peut toutefois s'interroger sur pourquoi la discipline archéologique engendre-t-elle un tel engouement de la part des communautés pseudo-scientifiques ?