Des caves à toutes les époques

Des caves à toutes les époques

Jusqu’au XIXe siècle, le stockage du vin est bien la principale fonction des caves et celliers d’Orléans. Néanmoins, au Moyen Âge et à l’époque moderne ces espaces peuvent parfois contenir d’autres denrées et boissons (produits laitiers, fromages, fruits et légumes, œufs, cidre, cervoise, vinaigre, huiles, céréales, poissons, etc.), du bois de chauffage, des draps ou de la laine, des matériaux de construction, de l’armement et des munitions en contexte militaire… Il est également possible que certaines caves aient abrité des activités artisanales, même si aucune trace n’en a encore été observée à Orléans. Dans certaines maisons de marchands avec boutique en rez-de-chaussée, la qualité architecturale et l’importance du décor des caves et celliers médiévaux laissent entendre qu’ils aient pu aussi être des lieux d’exposition, de transactions et de ventes réservés à certains clients.

Un peu de vocabulaire !

Au Moyen Âge et à l’époque moderne, le terme de « cave » évoque un espace qui se caractérise par sa localisation en profondeur. Il désigne toujours un espace creux, une cavité. Quant au terme de « cellier », employé à Orléans dès le XIIe siècle, il désigne un espace se définissant d’abord par sa fonction. Il sert au stockage et à la conservation de denrées alimentaires ou de matériaux divers. Une cave, qui est toujours située en sous-sol, n’est donc pas nécessairement un cellier. Dans sa terminologie ancienne, un cellier peut aussi bien se situer de plain-pied avec le sol extérieur, qu’en sous-sol, entièrement ou partiellement excavée, auquel cas il correspondrait à une cave.

À partir du XVe siècle, certains textes suggèrent qu’une autre différenciation s’opère entre le cellier et la cave. Les caves conservent leur définition d’espaces excavés, et sûrement voûtés. Le cellier se trouve de plain-pied par opposition à la cave en sous-sol. Il y a un autre terme qui apparaît dans les textes orléanais, celui de « cavereau », qui désigne une petite cave. La distinction se faisant avec une « grande cave ». Il peut s’agir d’une cave de petite dimension ou d’une cellule dans une cave de plus grande surface.

Typologie des caves et celliers

Grâce aux nombreuses cavités inventoriées et étudiées, il est aujourd’hui possible de distinguer plusieurs types d’aménagements sur des critères précis, à la fois topographiques et architecturaux, qui évoluent en fonction des époques et des contextes

Plusieurs éléments peuvent être pris en compte pour définir les caves et celliers :

  • la catégorie de la cavité  qui peut être une cave, une carrière ou une cave-carrière, c’est-à-dire une cavité creusée dans le but conjoint d’extraire la pierre et d’utiliser l’espace libéré comme cave. Dans les sous-sols s’étageant sur deux, voire trois niveaux, les espaces les plus profonds peuvent correspondre à ces caves-carrières. Certaines sont situées à une douzaine de mètres sous le sol actuel ;
  • l’implantation de la cavité (de plain-pied, partiellement ou totalement excavée) sur des sites marqués par une déclivité ou un aménagement en terrasse : il n’est pas rare qu’un cellier soit excavé d’un côté, mais de plain-pied avec une rue, une cour ou un jardin de l’autre côté ;
  • le plan de la cavité (simple ou composite) ;
  • le type de couvrement : ciel de carrière en taille rupestre ou couvrement architecturé : plafond ou voûte (en berceau, d’ogives, ou d’arêtes) ; prise en compte d’autres critères constructifs et architecturaux (forme et emplacement de l’escalier, des soupiraux, etc.).

Techniques et matériaux de construction

Plusieurs techniques de construction ont prévalu pour la construction de ces caves.

Certaines sont édifiées dans une excavation creusée « en fosse à ciel ouvert », notamment lorsque les murs servent de fondations aux élévations des bâtiments qui les surplombent ; la construction s’accompagne alors d’un remblaiement permettant d’assurer une atmosphère isotherme et tempérée.

L’autre type de construction consiste à pratiquer un creusement « en sape » (ou « en tunnel », « en souterrain »), méthode employée notamment pour des caves aménagées en sous-œuvre de constructions préexistantes. Elle convient également aux caves nécessitant d’être installées à une profondeur importante, lorsqu’il faut atteindre une roche suffisamment solide car les niveaux au-dessus sont trop instables (remblais anthropiques ou substratum fragile). C’est avec cette seconde technique qu’ont été également aménagées la plupart des caves-carrières situées en second niveau de sous-sol.

Des plans divers...

Les caves et celliers médiévaux d’Orléans correspondent principalement à des espaces à volume unique, de plan quadrangulaire, pouvant être associés à différents types de couvrements (plafonds ou voûtes). Pour ceux antérieurs au XVe siècle, les superficies varient entre une vingtaine et plus de deux cents mètres carrés pour les resserres d’établissements religieux (celliers du chapitre de la cathédrale rue Saint-Pierre-Lentin, de l’ancien évêché 26 rue Saint-Etienne, ou du chapitre de Saint-Aignan 2-4 Cloître Saint-Aignan). Lorsque la parcelle est suffisamment grande, le plan quadrangulaire peut se dilater en deux vaisseaux parallèles avec l’utilisation d’une file de supports intermédiaires (colonnes ou piliers) ou d’un mur de refend longitudinal. Il peut également s’étendre grâce à la présence d’une ou deux salles secondaires placées dans l’axe de la salle principale, qui sont alors séparées par des murs de cloisonnement ou de refend. Enfin, quelques rares caves et celliers du second Moyen Âge d’Orléans présentent des volumes composites, dispositions qui caractérisent l’ensemble des caves-carrières de la ville à une même époque, comme le plan à galerie longitudinale ouvrant sur des cellules latérales.

... pour une architecture soignée

Dans ces caves et celliers médiévaux, le matériau utilisé pour l’édification des murs, voûtes, escaliers, soupiraux et équipements (placards, niches, conduits de puits ou de latrines) est le calcaire de Beauce, extrait dans les carrières proches d’Orléans. Les murs sont bâtis avec un petit appareil irrégulier de moellons équarris, accolés contre les parois du creusement réalisé dans le substrat ou les niveaux anthropiques en place, liés par un mortier de chaux ou un liant argilo-calcaire. Le remploi de terre-cuites architecturales (briques, tuiles), parfois antiques ou alto-médiévales, est fréquent pour servir d’élément de calage ou de réglage. L’appareil forme parfois un parement plus soigné, avec des assises réglées dont les hauteurs ne dépassent pas une vingtaine de centimètres.

La période moderne voit l’apparition de nouveaux matériaux de construction, tels que les chantignoles (briques de demi-épaisseur), qui, à partir du XVIIe siècle, sont couramment employées dans la maçonnerie des murs ou des voûtes. Les arêtes des portes et les murs des escaliers, sont marquées en surface par un outil et non plus de munies de chanfreins à partir de la fin du XVe siècle.

Des caves couvertes par des plafonds de bois…

Par rapport aux nombreuses voûtes en maçonnerie, les plafonds en bois restent d’un usage limité dans les caves médiévales d’Orléans, bien qu’ils permettent de couvrir de grands espaces en évitant le recours à des techniques complexes et coûteuses. Ils sont au nombre d’une vingtaine, uniquement dans des caves à plan quadrangulaire, toujours situés en premier niveau de sous-sol, n’étant parfois que partiellement excavés.

D’anciens plafonds, actuellement disparus et remplacés par des voûtes, sont également bien attestés dans les caves des XIIIe et XIVe siècles par la présence de corbeaux (élément saillant d’un mur qui sert de soutènement d’une poutre) en calcaire de Beauce.

Les plafonds encore en place datés par dendrochronologie ne sont pas antérieurs au milieu du XVe siècle, comme au 85 rue de la Charpenterie, au 9 Cloître-Saint-Aignan  ou dans la maison que le roi Louis XI s’est fait construire au 10 Cloître Saint-Aignan.

Cellier à plafond surmontant une cave voûtée en berceau, rue Saint-Etienne à Orléans (détruit, source : AMO O dos 113)
Cellier à plafond surmontant une cave voûtée en berceau, rue Saint-Etienne à Orléans (détruit, source : AMO O dos 113)
Exemple de celliers à plafond médiévaux, 15e siècle à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2017)
Exemple de celliers à plafond médiévaux, 15e siècle à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2017)
Corbeau (encadré en rouge) d'un plafond en bois, remplacé utlérieurement par une voûte en pierre, rue du Poirier à Orléans (crédits : C. Alix, 2004)
Corbeau (encadré en rouge) d'un plafond en bois, remplacé utlérieurement par une voûte en pierre, rue du Poirier à Orléans (crédits : C. Alix, 2004)
Cellier du chapitre de Saint-Aignan à Orléans, avec voûte en berceau et arcs doubleaux, Moyen Âge (crédits Service d'archéologie, 2016)
Cellier du chapitre de Saint-Aignan à Orléans, avec voûte en berceau et arcs doubleaux, Moyen Âge (crédits Service d'archéologie, 2016)
Exemple de voûte d'arêtes, 13e siècle, ancienne salle de concert le Cats, rue des Trois-Marie à Orléans (crédits : C. Alix, 2004)
Exemple de voûte d'arêtes, 13e siècle, ancienne salle de concert le Cats, rue des Trois-Marie à Orléans (crédits : C. Alix, 2004)
Exemple de voûte d'ogives, 13e siècle, Hôtel des Créneaux, place de la République à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2018)
Exemple de voûte d'ogives, 13e siècle, Hôtel des Créneaux, place de la République à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2018)
Répartition spatiale des caves médiévales (11e-14e siècle) selon le type de voûte à Orléans (crédits : SICAVOR 2017)
Répartition spatiale des caves médiévales (11e-14e siècle) selon le type de voûte à Orléans (crédits : SICAVOR 2017)

... ou voûtées de pierre

Voûtes en berceau

Les caves couvertes de voûte en berceau sont de loin les plus nombreuses à Orléans. Elles représentent par exemple 85 % des caves du quartier Saint-Aignan. L'emploi de ce type de couvrement est attesté dès le XIIe siècle et perdure jusqu'au XIXe siècle.

Il s'agit de voûtes montées avec des moellons de calcaire de Beauce grossièrement équarris destinés à être masqués sous un enduit. Les voûtes en berceau plein-cintre ou en berceau brisé ne semblent couvrir que des caves médiévales rarement postérieures au XIIIe siècle. En revanche, les voûtes en berceau surbaissé, très fréquentes à partir du XIIIe siècle, sont employées tout au long de l'époque moderne, ce qui rend parfois difficile les datations en s'appuyant uniquement sur ce critère formel.

En revanche, l'usage d'arcs doubleaux, systématiquement chanfreinés, constitue un critère déterminant pour la datation des voûtes en berceau : celui-ci ne semble pas postérieur au milieu du XVe siècle. Les retombées de ces arcs doubleaux s'effectuent sur divers supports (piliers engagés avec ou sans tailloir, corbeaux surmontés de tailloirs, simples tailloirs insérés dans la paroi ou pénétrations directes dans le mur). Ainsi, le cellier du Chapitre Saint-Aignan, élevé au XIIIe siècle, est couvert d'un grand berceau sur doubleaux, tout comme les caves de nombreuses maisons (une trentaine) construites aux XIIe - XIVe siècles.

Voûtes d'arêtes ou d'ogives

Les voûtes d'arêtes sont attestées dans une vingtaine de caves et celliers. Les retombées sont assez hétérogènes et s'effectuent avec ou sans support. Les caves et celliers à voûtes sur croisées d'ogives à double chanfrein, sont représentés quant à eux par une trentaine d'exemples. La retombée des arcs sur les piliers engagés s'effectue avec ou sans tailloir. Afin de ne pas gêner le passage et la circulation aux abords des escaliers ou des soupiraux, ces arcs sont parfois portés par des culots et non par des piliers engagés. C'est avec ces types de voûtes qu'ont été construites les caves et celliers à supports intermédiaires (colonnes ou piliers).

Les caves et celliers à voûtes d'arêtes ou voûtes d'ogives ne sont attestés qu'entre les XIIe et XIIIe siècles pour les premières, les XIIIe et XIVe siècles pour les secondes. Ces fourchettes sont confirmées, par la fouille de la cave place Louis XI (voûtes d'ogives du XIIIe siècle), ou par des datations dendrochronologiques ou radiocarbones effectuées sur des structures présentes dans les élévations des maisons et contemporaines des caves (plafonds ou charpentes de combles, charbon de bois dans le mortier de chaux de murs).

Les caves à voûtes d'arêtes sont présentes uniquement dans la ville médiévale protégée par l'enceinte tardo-antique, tout comme celles à voûtes d'ogives, qui se répartissent également dans l'extension occidentale de l'enceinte édifiée entre les XIIIe et XIVe siècles.

Le type de la cave à voûtes d'ogives ou voûtes d'arêtes est donc associé à un habitat du coeur de ville, constitué essentiellement de maisons de commerçants ou d'artisans de la moyenne ou de la grande bourgeoisie, dans des quartiers à forte vocation économique (rue de Bourgogne, quartier du Châtelet, etc.) ou dans une moindre mesure, pour certaines couvertes de voûtes d'arêtes, dans des demeures occupées par des chanoines, comme dans le quartier cathédrale par exemple. Ce sont également dans ce type de caves à voûtes d'ogives ou d'arêtes que l'on a observé les seuls décors sculptés, végétaux (feuilles) ou figurés (têtes humaines ou animales), présents sur des chapiteaux ou des culots, ainsi que des traces de traitements colorés sur les voûtes et les murs (aplats de rouge ou de blanc, faux-appareil).

Les changements de la période moderne

À partir de la deuxième moitié du XVe siècle et au XVIe siècle, les caves de maisons orléanaises correspondent quasi systématiquement à des salles quadrangulaires à voûte en berceau surbaissé, à l'exclusion de tous les autres types de voûtes. À partir de cette époque, des berceaux surbaissés sont couramment employés pour remplacer ou réparer ponctuellement d'autres types de couvrements plus anciens.

Après la Renaissance, les caves édifiées aux XVIIe et XVIIIe siècles présentent les mêmes caractéristiques que celles développées à la fin du XVe siècle (salles quadrangulaires, voûte en berceau surbaissé sans arcs doubleaux, position et forme de l'escalier). Plusieurs caves modernes sont connues par exemple sous des hôtels particuliers, particulièrement dans les quartiers où s'élèvent ce type de demeures depuis le XVIe siècle, comme dans la rue d'Escures ou rue de la Bretonnerie.

Les ouvertures et équipements

Aérer et éclairer

L’aération et l’éclairement de ces espaces étaient primordiaux. Ils étaient fournis par des soupiraux pouvant parfois posséder de grandes dimensions au XIIIe siècle. À l’extérieur, les encadrements chanfreinés des ouvertures sont couverts d’un linteau et parfois protégés de grilles en fer au Moyen Âge. Parfois, des trémies étaient percées au sommet des voûtes pour favoriser la descente des charges (fûts de vin) tout en contribuant à l’aération.

Ranger

La présence d’au moins un placard (rangement mural avec feuillure pour vantail de fermeture avec gonds et verrou) et/ou d’une niche (rangement mural sans fermeture) est quasi systématique dans chaque cave médiévale ou moderne, usage qui perdure jusqu’au début de l’époque contemporaine. Ces placards ou niches sont très souvent proches de l’escalier, voire à l’intérieur même de la cage. Ils servaient probablement au rangement de luminaires (chandelles en suif, lampes à huile, etc.), de vaisselle vinaire, d’outils ou d’ustensiles en lien avec d’éventuelles activités artisanales.

En outre, des exemples de récipients en céramique remployés pour être engagés dans les murs de caves sont attestés (fin XVe - début XVIe siècle). Situés au pied de la cage de l’escalier, ils remplissent la fonction de vide-poches ou de petites niches, peut-être pour ranger du luminaire.

Puits et latrines

Les puits médiévaux contemporains de la construction des caves sont peu fréquents. Les nombreux conduits maçonnés circulaires ou ovoïdes, de puits ou de latrines, visibles dans les caves ou les carrières correspondent souvent à des ajouts postérieurs venus recouper les voûtes.

Monter, descendre ...

Du XIIIe au XVIe siècle, l’accès à la cave et au cellier se fait par un escalier droit. L’escalier occupe rarement une position centrale et son accès s’effectue le plus couramment par une trappe au sol du rez-de-chaussée de la maison, généralement à l’arrière de la porte d’entrée. L’accès direct depuis la rue semble rare à Orléans pour la période médiévale. Ce schéma va perdurer jusqu’à la fin de l’époque moderne. L’escalier à vis comme desserte de cave est d’un usage très limité avant le XVe siècle. Il peut être employé comme accès secondaire situé à la verticale de l’escalier principal pour desservir les étages de certaines maisons et hôtels particuliers des XVe et XVIe siècles.

Les usages et fonctions

Les volumes importants des caves et des celliers pour les stockages se prêtent bien à la conservation des aliments ou de marchandises car la température est constante à l’intérieur (11 à 13 °C) en toutes saisons. Le stockage dans les caves est essentiel pour la conservation des denrées alimentaires (vin, fruits, salades et autres produits) mais aussi pour beaucoup d'autres produits...

Conserver les aliments, un besoin essentiel

Les indices archéologiques sont souvent très minces pour retrouver les denrées et matières conservées dans les caves. En effet, le nettoyage régulier des sols ne favorise pas la conservation et la transmission des objets archéologiques. En revanche, l’étude des archives et textes médiévaux apporte de nombreux éléments pour connaître les aliments conservés.

Viandes

Ceux-ci se présentent généralement sous la forme de chairs salées, confites, fumées ou desséchées de viandes entreposées dans des saloirs, des lardiers ou des charniers. Certains poissons, d’eau douce ou de mer, frais ou de conserve (salés ou séchés) peuvent aussi être conservés dans ces lieux. Les œufs tiennent aussi une place prépondérante dans l’alimentation, en particulier dans les établissements religieux. Certaines techniques de conservation permettaient de garder les œufs pendant plus de 6 mois !

Fruits et légumes

Bien sûr, les fruits et légumes sont conservés mais, comme les autres produits décrits ci-dessus, ils ne laissent pas de traces archéologiques. En effet, ces aliments ont été consommés et étaient conservés dans des paniers en osiers, caisses en bois, garde-mangers et sacs en tissus… qui ne sont pas visibles de manière archéologique. Les fruits et légumes sont conservés frais, séchés ou confits dans du sucre, miel, sel ou vinaigre.

Laitages

À Orléans, les fouilles réalisées dans les caves ont permis de détecter des fragments de poteries destinées à la conservation de produits laitiers sous la forme pots à lait, petit-lait, babeurre, crème ou beurre. Il s’agit de tous petits fragments liés à la chute accidentelle de ces récipients, échappant ensuite au balayage des espaces. Les fromages sont eux conservés dans des casiers ou des garde-mangers.

Une annexe de la cuisine

Le stockage à moyen et long terme n’était pas la seule fonction des caves. Les livres de recettes médiévaux donnent la manière de faire confits, gelées, soupes… en y incorporant, après ou au cours de la réalisation du mets ou du plat, un dépôt dans une cave ou un cellier, souvent le temps d’une nuit, pour qu’il puisse y refroidir. À l’intérieur de la cave, ces préparations pouvaient être déposées à même le sol, sinon dans un rangement mural (niche ou placard), sur des étagères, à la surface d’un tonneau posé debout ou d’un meuble.

Du vin essentiellement...

De la même manière, des fragments de cruches pour soutirer le vin sont fréquemment retrouvés. Il peut aussi s’agir de cidre ou de bière. Les textes de la fin du Moyen-Âge et de l’époque moderne confirment bien que de nombreuses caves et celliers de maisons orléanaises avaient un usage également domestique en permettant le stockage du vin. C’est pourquoi, leurs portes et leurs escaliers d’accès possédaient leurs noms évocateurs de « huy pour avaller vin » ou « portevins ».

Les fûts étaient portés à l’aide de poulains ou glissés sur des planches posées sur les marches, retenus par des cordes attachées à des barres de bois ou à anneaux fichés en haut de l'escalier. La présence de tonneaux n’est pas strictement synonyme de celle du vin puisque des viandes et poissons salés, des boissons diverses comme la bière, le cidre, le verjus ou le vinaigre pouvaient être stockés dans ces contenants.

... mais pas uniquement

À l’image de l’utilisation actuelle des caves, le stockage des matériels et matériaux non alimentaires était monnaie courante. Les caves constituent en effet un abri sécurisé, à l’abri des vols et des incendies, pour protéger de nombreux objets, liés à l’alimentation mais pas seulement. Des textes indiquent le stockage du bois, si aucun autre espace de la maison ne pouvait remplir cette fonction. Il peut s’agir de réserves de bûches ou de bois de construction. Certains textes français du XVe siècle mentionnent le charbon, dont l’usage et le stockage dans les caves deviendra beaucoup plus courant à partir de la fin de l’époque moderne.

La descente à la cave, attribuée au Maître de Dinteville, Bartholomeus Pons, 1537 (huile sur bois, H. : 0,56 x L. : 0,55, Franckfort Städelsches Kunstinstitut)
La descente à la cave, attribuée au Maître de Dinteville, Bartholomeus Pons, 1537 (huile sur bois, H. : 0,56 x L. : 0,55, Franckfort Städelsches Kunstinstitut)
Livre d'heures figurant le traitement du vin dans une cave (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 28345, fol. 10)
Livre d'heures figurant le traitement du vin dans une cave (Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm. 28345, fol. 10)
Anneaux pour la descente des fûts dans l'escalier d'une cave, rue du Petit-Saint-Loup à Orléans, époque contemporaine (crédits : Service d'archéologie, 2017)
Anneaux pour la descente des fûts dans l'escalier d'une cave, rue du Petit-Saint-Loup à Orléans, époque contemporaine (crédits : Service d'archéologie, 2017)
Resserre à bûches et à planches dans un cellier du Cloître Saint-Aignan à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2006)
Resserre à bûches et à planches dans un cellier du Cloître Saint-Aignan à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2006)
La taverne dans un cellier, Apocalypse de st jean 1301-1400 (Bnf, ms fr 13096, fol. 51r)
La taverne dans un cellier, Apocalypse de st jean 1301-1400 (Bnf, ms fr 13096, fol. 51r)
Pichet à vin du Moyen Âge, rue Saint-Pierre-Lentin à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2018)
Pichet à vin du Moyen Âge, rue Saint-Pierre-Lentin à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2018)

Tavernes en sous-sol

Au-delà du simple entreposage d’aliments et de matériaux, les caves sont avant tout des espaces polyvalents en particulier en milieu urbain. Si le vin reste une des denrées la plus facile à appréhender, sa vente et sa consommation pouvaient être faites directement dans les caves. Les images médiévales montrent beaucoup d’exemples de scènes de foulage et de pressoir dans des salles excavées, mais toujours en milieu rural ou dans les faubourgs.

Notons qu’Orléans se trouvait au centre d’une zone de production viticole parmi les plus importantes du XIIe au XVe siècle. Elle formait un carrefour de redistribution avec son port fluvial et ses routes qui, au nord, partaient pour la Beauce et Paris. La vente au détail du vin dans la ville et ses faubourgs était réservée aux bourgeois, prérogative confirmée par des lettres patentes de Charles VII en 1451. Il est probable aussi que les caves du centre-ville aient alimenté les tavernes entre le XIVe siècle et le XVIIIe siècle, où s’effectuait la vente au détail de grandes qualités de vins, provenant notamment des vignes de l’Hôtel-Dieu d’Orléans. Une taverne est clairement située dans un cellier dans un fabliau du XIIe siècle :

« [A Orléans] Il passe devant un cellier, où de mauvais garçons jouaient aux dés : ils venaient, sur un coup, de se prendre aux cheveux, puis de se raccommoder ; ils étaient tout déchirés et sanglants. L’hôte avait pris les dés en main et avait dit aux compagnons : « Ecoutez-moi ! Je mets pour enjeu, à ce coup, une pleine mesure de mon meilleur vin. Mais tenez-vous en paix. Celui qui voudra faire du tapage, qu’il vide mon cellier. Je ne veux pas de querelles ! » Tous lui avaient pro­mis d’être sages et venaient de se rasseoir à leur table. A ce moment passait Aïoul sur son cheval. « Tenez, dit l’hôte, je vois venir un chevalier qui arrive pour sûr du pays des fées ; laissez-moi lui dire un mot. Il s’approche d’Aïoul comme hors de lui, et lui dit : « Sire, écoutez. On vend chez moi du bon vin, et on y joue aux dés. Un de ces sergents a perdu, et dans son dépit il prétend que je lui ai fourni des dés pipés. Sire, on me tient pour prud’homme dans la ville, et je ne voudrais pas avoir de blâme. Voici les trois dont ils ont joué : prenez-les, regardez-les bien, et jugez s’ils sont bons ; nous nous en remettons tous à vous. - Vous tombez mal, dit Aïoul : je n’ai jamais vu jouer aux dés et je n’y connais rien. Demandez ce jugement à d’autres. - Vassal, dit l’hôte, vous n’en serez pas quitte ainsi ! » Il le prend par le frein, tire à lui, et le fait reculer devant le cellier. Marchegai [le cheval] le regarde : il lève son pied droit, qui était gros et carré, et le frappe au milieu de la poitrine d’un si merveilleux coup qu’il lui brise quatre côtes et l’envoie rouler dans son cellier son compter les degrés. » (Chanson d’Aïoul : premier exploit d’Aïoul, éd. Paris 1922, p. 56-57).

A louer !

Plusieurs textes orléanais indiquent que les caves pouvaient être, entièrement ou partiellement, louées à des personnes n’occupant pas la maison au-dessus. Ce peut être une location saisonnière comme le montre un texte (bail à loyer) de 1539 pour un corps d’hôtel situé sur la Grande rue de la Talemelerie près de la porte Renard (maison dite de Jeanne d’Arc, anciennement 33 rue du Tabour). Pour la période du stockage du vin, le bailleur, Michel Boucher, se réserve l’usage de «  l’une des caves d’icelluy corps baillé, à la prandre depuis les sepparacions y faictes […] et oultre reservé l’ung des cavereaulx tel qu’il plaira audict preneur, et parmy ce que icelluy preneur sera tenu souffrir et endurer chascun an durant ledict temps l’avalaige et triaige du vin que ledict bailleur vouldra mettre et tirer des aultres caves de sondict hostel ».

La disposition de certaines caves en travées ou avec des cellules se prête bien à une subdivision des espaces pour une location à plusieurs personnes. Des traces de ces subdivisions, en bois, sont fréquemment identifiées et certaines subsistent encore aujourd’hui.

Espaces de vente et de démonstration

Le type d’architecture de la cave est un indice des fonctions possibles de ces espaces. À Orléans, dans certaines maisons de marchands avec boutique en rez-de-chaussée, la qualité architecturale et l’importance du décor laissent entendre qu’ils aient pu aussi être des lieux d’exposition, de transactions et de ventes réservées à certains clients. C’est notamment le cas de la maison du 9 rue des Trois-Maries, dont le rez-de-chaussée au riche décor peint et sculpté fait écho aux éléments figuratifs ornant les culots des voûtes dans la cave. Il est possible que la maison ait abrité un commerce du vin mais quelques indices laissent penser qu’il pourrait aussi s’agir de vente de draps.

Avant et après le Moyen Âge

Si la recherche SICAVOR a porté plus particulièrement sur les périodes médiévale et moderne, les usages multiples et polyvalents des caves et celliers identifiés sont parfois valables pour l’époque romaine et la période contemporaine. Les exemples archéologiques montrent pour l’Antiquité les mêmes fonctions que pour le Moyen Âge. Une cave découverte lors d’une fouille au lycée Saint-Euverte, a livré des fosses alignées le long des murs, creusées pour accueillir des vases de stockages alimentaires.

Pour la période contemporaine, l’exemple de l’hôpital Porte-Madeleine indique que les caves et carrières médiévales et modernes ont été réutilisées au XIXe siècle. En effet, des renforts de maçonnerie et l’aménagement de nouveaux accès, montrent une réutilisation quotidienne de ces espaces. Des crochets fichés dans les parois suggèrent la conservation d’aliments (salaisons ?) hors de portée des rongeurs et autres animaux. Des madriers de bois disposés de manière parallèle (chantiers), indiquent la présence probable de fûts pour l’entreposage de boissons ou d’aliments. La facilité d’accès à ces espaces et le besoin de grands espaces de conservation pour la nombreuse population nourrie et hébergée à l’hôpital général, puis l’Hôtel-Dieu, explique cette réutilisation jusque dans le milieu du XXe siècle. C’est le cas de la majorité des caves et carrières d’Orléans.

Cave gallo-romaine avec creusements circulaires au long des parois, traces des vases de stockage disparus, lycée Saint-Euverte à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2017)
Cave gallo-romaine avec creusements circulaires au long des parois, traces des vases de stockage disparus, lycée Saint-Euverte à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2017)
Carrière du XIIIe siècle, utilisée au XIXe siècle pour le stockage de la viande à hôpital Porte-Madeleine à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2016)
Carrière du XIIIe siècle, utilisée au XIXe siècle pour le stockage de la viande à hôpital Porte-Madeleine à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2016)
Chantiers (madriers de bois parallèles), traces du stockage de tonneaux au XIXe siècle à hôpital Porte-Madeleine à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2016)
Chantiers (madriers de bois parallèles), traces du stockage de tonneaux au XIXe siècle à hôpital Porte-Madeleine à Orléans (crédits : Service d'archéologie, 2016)

Pour en savoir plus

Vidéo réalisée par Christophe Fraudin en partenariat avec La Tête dans la Rivière.

Partager sur