Extraire de la pierre

Coupe géologique interprétative de l'Orléanais (crédits : BRGM)
Coupe géologique interprétative de l'Orléanais (crédits : BRGM)
Carte géologique d'Orléans, extait (crédits : BRGM)
Carte géologique d'Orléans, extait (crédits : BRGM)

Extraire de la pierre

Supposée durant l’Antiquité et attestée durant le Haut Moyen Âge, l’extraction de pierre dans le centre-ville d’Orléans est bien caractérisée pour la période médiévale. Des activités d’extraction du calcaire de Beauce à Orléans, notamment en milieu urbain, s’y déroulent à partir du Xe siècle et jusqu’au début du XXe siècle.

Un peu de géologie

Le calcaire de Beauce est un calcaire aquitanien d’origine lacustre dont la formation date d’environ 20 millions d’années. Il constitue le sous-sol de la région orléanaise, bien souvent recouvert par les alluvions anciennes. D’une carrière à l’autre, il n’est pas possible d’établir de profil type de la nature du substrat. En fonction des circulations d’eau anciennes, le calcaire possède plusieurs aspects. Il est souvent marneux et crayeux, friable et grumeleux, plutôt blanchâtre.

Relevé d'une carrière rue de la Bretonnerie à Orléans, galerie à plus de 10 m de profondeur sous le bâtiment (crédits : M. Froideveaux, BRGM)
Relevé d'une carrière rue de la Bretonnerie à Orléans, galerie à plus de 10 m de profondeur sous le bâtiment (crédits : M. Froideveaux, BRGM)

Pourquoi extraire du calcaire ?

Si dans quelques exemples la récupération de calcaire s’est probablement effectuée par opportunisme, lors du creusement d’un second niveau de cave, dans un grand nombre de cas la volonté d’extraire la pierre à des fins constructives a prévalu. Ceci justifie l’implantation de ces cavités à une profondeur importante, de l’ordre de 10 m, alors que l’aménagement d’une simple cave s’effectue généralement à 5 ou 6 m en dessous du rez-de-chaussée des maisons.

L’étude des différentes petites carrières situées en centre-ville permet de restituer l’histoire des techniques d’extraction du calcaire, mais aussi de ces lieux souvent transformés pour d’autres usages par la suite. Les carrières de calcaires sont pour le moment attestées de l’Antiquité au XIXe siècle à Orléans.

Poursuivant une pratique présente aux époques anté­rieures, l’exploitation du calcaire de Beauce dans le cœur de la ville a donc été continue et croissante durant le Moyen Âge puis l’époque moderne. Les matériaux extraits sous la forme de granulats, de petits cailloux ou de petits moellons étaient nécessaires à la construction des murs de bâtiments, mais aussi pour la réalisa­tion des sols. L’exploitation du calcaire de Beauce, en par­ticulier pour la fourniture de moellons, ne cesse pas pour autant aux époques suivantes. Bien au contraire, la présence de nombreuses carrières souterraines dans les quartiers périphériques à l’ouest et au nord de la ville, dans les anciens faubourgs, atteste une activité qui suit le développement de la ville jusqu’au début du XXe siècle.

Localisation des carrières en fonction de leur type à Orléans (crédits ; Service d'archéologie, 2018)
Localisation des carrières en fonction de leur type à Orléans (crédits ; Service d'archéologie, 2018)
Carrière à ciel ouvert découvert lors d'une fouille rue Saint-Flou à Orléans (crédits : G. Mercé, Inrap)
Carrière à ciel ouvert découvert lors d'une fouille rue Saint-Flou à Orléans (crédits : G. Mercé, Inrap)

Carrières à galeries souterraines ou à ciel ouvert

Il  existe deux types de carrières : à ciel ouvert et souterraines.

Seuls quelques exemples de carrières à ciel ouvert ont été identifiés dans le centre-ville d’Orléans, principalement pour l’époque antique et médiévale. Ces carrières permettaient d'extraire le calcaire situé à une faible profondeur. Ce dernier étant très détérioré dans les couches proches du sol, elles ont également pu servi à récolter de la marne ou de l’argile utilisés pour la construction mais aussi pour l’agriculture. L’extraction par galeries permet au contraire d’atteindre des bancs calcaires plus profonds, donc plus durs, indispensables pour la construction de bâtiments.

Les chantiers de construction recourant à ces exploitations devaient s’accompagner d’un approvisionnement en pierres de taille issues de carrières extérieures à la ville, nécessaires pour les parements, les enca­drements des ouvertures et certains décors. En effet, le calcaire d’Orléans, trop friable et hétérogène, n’était pas adapté à la taille régulière ou la sculpture. Les pierres arrivaient à Orléans au moyen du transport fluvial, en remontant ou en descendant la Loire sur des bateaux à fond plat, voire par voie terrestre pour les carrières les plus proches. Ce calcaire de bonne qualité pouvait provenir de la région de Nevers ou de Touraine.

Techniques

Les techniques d’extraction du calcaire n’évoluent que très partiellement entre le XIe siècle et le milieu du XIXe siècle. Le plus souvent, il s’agit d’une extraction souterraine en puits. Les bancs de pierre, déjà fissurés par l’altération, devaient être dégagés à l’aide de pics.

Les conduits d’aération situés en extrémité de galerie servaient probablement de puits d’extraction. L’accès à la carrière pouvait s’effectuer grâce à une échelle de perroquet en bois (ou mât de perroquet) placée dans un puits. La remontée en surface des matériaux s’effectuait à l’aide de treuils ou de palans.

Les exploitations et leur datation

Environ 115 carrières ou caves-carrières médiévales sont actuellement recensées dans l’emprise de la dernière enceinte urbaine, à l’intérieur des actuels boulevards d’Orléans. Ces cavités se situent aujourd’hui en deuxième ou troisième niveau de sous-sol, à une profondeur variant de 8 à 12,50 m. Initialement accessibles par des puits d’extraction, elles sont maintenant desservies grâce à des escaliers droits situés parfois dans le prolongement de ceux menant aux caves de 1er niveau. Ces cavités se présentent souvent sous la forme de volumes composites. Ces plans dépendent en effet de la nature du calcaire de Beauce, de qualité très variable selon les lieux et les profondeurs, et des méthodes d’extraction par puits et caverons. Par ailleurs, beaucoup semblent respecter les limites de parcelles  et le bâti de surface, au moins pour le Moyen Âge.

La datation des creusements et de l’exploitation des carrières est difficile. On retrouve très peu d’objets (poteries par exemple) et les indices chronologiques sont peu fiables. Cependant, quelques situations particulières permettent parfois de dater le début de creusement d’une galerie. Dans plusieurs carrières, la galerie recoupe des structures en creux (puits notamment) antiques ou du début du Moyen Âge. Sur le site de l’ancien hôpital Porte-Madeleine, par exemple, une carrière n’est pas antérieure au premier quart du XIVe siècle, comme l’atteste le mobilier retrouvé à la base d’un puits de reconnaissance des bancs de calcaire recoupé par la galerie. Dans certains cas, les travaux de consolidation et d’aménagement des escaliers pourraient être quasiment contemporains de l’exploitation de la pierre. Ils témoignent alors d’une volonté conjointe d’extraire le matériau pour la construction, tout en créant un niveau de cave supplémentaire lié à l’économie de la maison. Ainsi, des datations radiocarbone effectuées sur des charbons de bois provenant des mortiers des voûtes de deux caves-carrières du type à galerie et cellules latérales, suggèrent des constructions entre le milieu du XIIIe et la fin du XIVe siècle.

Vue 3D d'un ensemble de caves-carrières et cellier superposés, rue Coligny à Orléans (crédits : SICAVOR 2018)
Vue 3D d'un ensemble de caves-carrières et cellier superposés, rue Coligny à Orléans (crédits : SICAVOR 2018)
Plan d'une carrières en deuxième niveau de sous-sol, rue Coligny à Orléans (crédits : SICAVOR 2018)
Plan d'une carrières en deuxième niveau de sous-sol, rue Coligny à Orléans (crédits : SICAVOR 2018)
Coupe d'un ensemble de caves et carrières superposés, rue Saint-Etienne à Orléans (crédits : SICAVOR, 2018)
Coupe d'un ensemble de caves et carrières superposés, rue Saint-Etienne à Orléans (crédits : SICAVOR, 2018)

De l'Antiquité au XIXe siècle

Période gallo-romaine (IVe siècle)

Si les traces d’une telle activité pour la période antique à Orléans demeurent extrêmement rares, il semblerait que cette extraction ne soit pratiquée qu’à partir de carrières à ciel ouvert. Au moins trois sites d’extraction de marne ou calcaire à ciel ouvert ont été identifiés à Orléans (diagnostic rue Jousselin, fouille de La Motte-Sanguin, fouille de Saint-Euverte).

De l’époque médiévale à l’époque moderne (Xe siècle –XVIIIe siècle)

Un type de cave-carrière, peu fréquent à la période médiévale, présente un plan avec galeries tournantes à angles droits ménageant un ou plusieurs piliers tournés quadrangulaires massifs.

Un autre type, à galerie et cellules latérales, est particulièrement représenté à Orléans (une trentaine d’exemples). Afin de consolider les galeries, les parois taillées dans la roche sont renforcées par des maçonneries de moellons et ne sont laissées visibles que ponctuellement. Les couvrements sont constitués d’arcs doubleaux associés à des voûtes en berceau surbaissé ou à de larges nervures se croisant à angle droit, formant ainsi des voûtes d’ogives quadripartites extrêmement surbaissées venant renforcer en sous-œuvre les anciens ciels de carrières. Ces arcs reposent sur de petits piliers engagés qui chemisent les parois séparant les cellules latérales. Ces arcs et piliers sont les éléments les plus soignés de la construction, en calcaire de Beauce, dont les arêtes sont abattues de larges chanfreins. Dans de nombreux sites, ces voûtes sont ponctuellement dotées de voûtains maçonnés, aux endroits où le calcaire du ciel sembla le plus fragile (départ de cloche de fontis ou présence de fosses antérieures à la carrière). Les coffrages de ces voûtains furent réalisés à l’aide de cintres encastrés dans l’extrados des arcs, maintenant de petits couchis aux dimensions standards et laissés en place une fois le mortier séché.

Enfin, il convient de citer un autre type de carrière possédant de longues galeries, rectilignes ou courbes, ouvrant parfois sur des caverons latéraux, pouvant être surmontés de puits d’extractions. Ces carrières présentent la particularité d’être non architecturées ou de posséder des aménagements maçonnés très ponctuels (escaliers notamment). Dans l’intra-muros, elles sont uniquement situées dans les quartiers nord et ouest (quartiers Carmes, Bannier, Bretonnerie), protégés par la dernière enceinte urbaine (1487-1556), et les plus anciennes pourraient être liées à la densification de l’habitat de ces quartiers à partir de la fin du XVe siècle.

Période contemporaine (XIXe-XXe siècle)

La présence de nombreuses carrières souterraines sous les parcelles des quartiers nord et ouest de l’intra-muros (Carmes, Madeleine, Bannier, Bretonnerie) suggère une continuité de l’activité constructive à l’époque moderne. Elles présentent des plans caractéristiques à galeries rectilignes ou tournantes, accompagnées parfois de caverons ou de piliers tournés, selon un type qui se généralisera jusqu’au XIXe siècle le long des grands axes des extérieurs de la ville (faubourgs Madeleine, Saint-Jean, Bannier, Saint-Vincent, Saint-Marc, etc.).

L’activité d’extraction par carrières souterraines cesse au début du XXe siècle, après s’être étendue loin du centre-ville (quartiers du Nécotin, de l’Argonne, etc.) et dans certaines communes avoisinantes (Saint-Jean-de-Braye, La Chapelle-Saint-Mesmin, etc.). À cette même période, plusieurs carrières de la périphérie de la ville sont converties en champignonnières ou accueillent des cultures maraîchères.

Pour en savoir plus

Vidéo réalisée par Christophe Fraudin en partenariat avec La Tête dans la Rivière .

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