Les marques du pouvoir : une ville du haut Moyen Âge
Les marques du pouvoir : une ville du haut Moyen Âge
Entre le IVe et le IXe siècle, on observe la mise en place d’une population privilégiée autour du quartier du Châtelet et de la Charpenterie, étayée par la découverte de mobilier distinctif, parfois même importé, qui semble l’apanage de l’aristocratie. En effet, Orléans devient la capitale des possessions de Clodomir en 511, après le partage du royaume de Clovis. Dès 561, la ville intègre le royaume de Bourgogne et adopte le statut de capitale temporaire des souverains, qu'elle perd à la réunification du royaume franc. Toutefois, elle le retrouve par moments sous Charles le Chauve (840 - 862), puis plus régulièrement sous la lignée robertienne. Pour finir, l’avènement de la dynastie capétienne fait d'Orléans une place royale importante jusqu’au XIIe siècle. La frappe continue de monnaies dans des ateliers orléanais tout au long de cette période atteste du passé royal de la ville.
Une résidence aristocratique est implantée sur le site de la Charpenterie avant le VIIe siècle, entourée d’un quartier animé par une forte activité artisanale où se mêle, entre autres, verriers, forgerons et teinturiers. Il pourrait s’agir de la résidence royale temporaire de la cour alors itinérante, mentionnée par Grégoire de Tours, auteur du VIe siècle, pour cette période. Toutefois, à partir du IXe siècle, la fréquentation du site régresse nettement, vraisemblablement à cause du déplacement du pouvoir. L’existence du Châtelet royal plus à l’ouest, est mentionnée par les textes dès le XIIe siècle, mais pourrait remonter au IXe siècle d’après les recherches récentes. Symbole de la puissance publique, il occupe une place essentielle dans le développement de la ville.
Bien qu’aucun document ne puisse établir de lien entre la présence royale à Orléans et la mise en place des ateliers de potiers à Saran dès le VIe siècle, plusieurs observations pourraient en être les premiers signes. Tout d'abord, la taille et l’organisation de ce grand centre artisanal aux portes de la ville, qui produit également les tuiles et les briques servant dans les constructions urbaines. A cela s'ajoute le quasi-monopole de la distribution de ces productions sur l’ensemble de l’orléanais. Seuls quelques vases prestigieux, témoins d’approvisionnements ponctuels et souvent lointains, complètent parfois le vaisselier de l’élite urbaine.
Avec la fin du grand centre de Saran, à partir du Xe siècle, émergent de nouveaux ateliers dispersés tout autour de la forêt d’Orléans. Ils assurent sans doute avec ce maillage une meilleure commercialisation de leurs produits. Les artisans témoignent alors d’une haute technicité, façonnant probablement à la commande des céramiques aux décors abondants et glaçurés. Ces dernières deviennent l’apanage de la population aisée installée dans le quartier du Châtelet.
Signs of power : a town in the Early Middle Ages
Between the 4th and the 9th century, privileged population classes settled around the districts of the Charpenterie and of the Châtelet, which was confirmed by the discovery of distinctive and sometimes imported furniture. After Clovis’ death, the Frankish kingdom is split and Orléans becomes the capital of Clodomir's possessions in 511 AD. From 561, the city integrates the kingdom of Burgundy and adopts the status of temporary capital of the sovereigns, which is lost with the reunification of the Frankish kingdom. This particular status will be however recovered sometimes under the reign of Charles le Chauve (840 - 862), then more regularly under the Robertian reigns. Finally, through the accession to the throne of the Capetian dynasty in 996 AD, Orléans becomes an important royal place until the 12th century, which is evidenced by the continuous minting of coins in the city workshops during that period.
The presence of an aristocratic residence is confirmed on the site of the Charpenterie before the 7th century, surrounded by a lively arts and crafts district full of glassmakers, blacksmiths and dyers. This place could have been the temporary royal residence of the itinerant court, as mentioned by Gregory of Tours, a 6th century author. However, from the 9th century, the place seems to have been less busy, probably because of changes in the residing places of the sovereigns.
The existence of the Royal Castellum (Châtelet) further east is confirmed in texts dating from the 12th century, but recent research lets suppose that it could have already existed in the 9th century. As a symbol of public power, this place was essential for the city development.
Despite the lack of written evidence allowing to link any royal presence to the development of pottery workshops in Saran as early as the 6th century, the size and organization of this great craft centre on the outskirts of Orléans (also producing tiles and bricks for urban buildings) could be an early sign of this presence. On top of this, these workshops seemed to have the monopoly for supplying Orléans and its surroundings : only a few famous vases, exceptionally coming from faraway countries, formed part of the dishes of the urban elite.
From the 10th century, after this great craft centre disappeared, new workshops were created all around the Orléans forest, such location enabling an easier marketing of their products. These craftsmen were highly skilled and could that way meet the requirements of orders (ceramics with abundant and glazed ornementations) placed by the wealthy population of the Châtelet district.
Aquamanile
Les aquamaniles servaient, au Moyen Âge, pour les ablutions sommaires (lavage des mains et toilette) dans les chambres à coucher ou encore dans les cuisines comme sources d’approvisionnement en eau.
Ce type de vase est extrêmement rare, que ce soit à Orléans ou sur le reste du territoire. Autour d’Orléans, on en dénombre deux, l’un trouvé à la ZAC du Bourg à Ingré et l’autre aux Chénats à La-Chapelle-Saint-Mesmin. À l’extérieur de la région, un seul est attesté pour le Xe siècle, sur le site des Hospitalières à Poitiers, puis deux autres pour la fin du Xe siècle ou le début du XIe siècle sur le castrum d’Andone.
Ce vase a été retrouvé dans le comblement de latrines lors de la fouille du 80 quai du Châtelet . Ces lieux d'aisance sont quasiment systématiquement associés à la chambre dans l’architecture médiévale encore en élévation. Il se compose de deux becs verseurs opposés, pontés et tréflés, ainsi que de deux anses plates massives à large gorge rattachées sur le col et diamétralement opposées. L’ensemble est protégé par un revêtement lisse de couleur jaune : on parle de glaçure.
Contrairement à la majorité de la poterie consommée à Orléans au IXe siècle, cet exemplaire n’a pas été fabriqué dans les ateliers de Saran. La pâte blanche témoigne d'une provenance plus éloignée, peut-être la Touraine ou la vallée de la Loire. Son origine lointaine ainsi que sa fonction laissent penser que son propriétaire pouvait appartenir à l’aristocratie. D'autres indices retrouvés aux côtés du vase confirment d’ailleurs cette hypothèse, comme des restes de repas qui indiquent la consommation de viandes de grande qualité (animaux jeunes, porc en grande quantité), mais aussi de poissons. Ces derniers peuvent provenir de la mer, comme le carrelet, ce qui est peu fréquent au IXe siècle.
Aquamanile
Deuxième moitié du IXe siècle
80 quai du Châtelet (Orléans)
Terre cuite
L. 19 cm, l. 25 cm, diam. ouverture 17 cm
Orléans, Pôle d’archéologie (inv. 3194-11)
Année de découverte : 2014
Particularité : cet exemplaire est l'un des seuls quasiment complets, ce qui accentue son caractère exceptionnel
Les fragments de cruche
Au Xe siècle, l’émergence de nouveaux ateliers dans l’Orléanais entame un renouveau dans la production. Ils produisent des céramiques ayant généralement une couleur gris-blanc à cœur noir. On voit apparaître les premières glaçures, qui se cantonnent alors au jaune ou vert foncé avec des reflets métallescents, ainsi que la lèvre (c'est-à-dire le pourtour du vase) en forme de bandeau. Dès le XIe siècle sont produites des céramiques extrêmement décorées, à partir d’ajouts de matières parfois très complexes, mais également de glaçures de différentes couleurs (jaune, vert, brun et rouge). La lèvre à bandeau devient l’élément caractéristique.
Ces fragments de cruche, datant du XIe siècle, proviennent de l’îlot de la Charpenterie. Sur la panse, figure un décor d’appliques de sirènes et de rangs de perles glaçurées jaune, à l’intérieur d’un demi-cercle formé par un cordon rapporté également jaune et rehaussé de pastilles marrons. De part et d’autre sont apposés des cordons entrelacés jaunes avec un décor d’incisions. L’ensemble de la panse est glaçuré marron.
Le site de la Charpenterie a livré plusieurs vases de ce type, dont la complexité du décor renvoie à des productions restreintes, réservées à une clientèle particulière. Cette production de grande qualité est généralement découverte dans des contextes urbains, mais rarement en si grand nombre. Il est très probable que ces objets aient appartenu aux occupants de la résidence royale du Châtelet, qui se trouvait à une centaine de mètres à l’ouest du site.
Fragments de cruche
Deuxième moitié du XIe siècle
Îlot de la Charpenterie (Orléans)
Terre cuite glaçurée
H. 12 cm, L. 24 cm
Orléans, DRAC Centre, Service régional de l’Archéologie (inv. 1098.4 / 1099.9)
Le denier de Charles le Chauve
Au début du Moyen Âge, plusieurs types monétaires coexistent au sein du royaume et d'un même atelier. Deux monnaies dominantes au nom d'Orléans sont connues pour cette période : le type au revers au temple et celui au revers à la porte de ville. Un troisième groupe ne portant pas le nom de la ville en toutes lettres est aussi attribué à l'atelier d'Orléans. Simon Coupland a établi un ordre de production des différents types monétaires orléanais. Les monnaies à l'inscription " XPISTIANA RELIGIO " seraient les premières frappées après 840, remplacées ensuite par celles au nom de la ville, d'abord le type au revers au temple puis celui à la porte de ville. On ne peut toutefois déterminer précisément la période d'émission de ces types, autrement qu'entre 840 et 864, cette dernière date actant l'apparition des monnaies du type Gratia Dei Rex à Orléans.
À partir de la fin du règne de Louis le Pieux, puis sous celui de Charles le Chauve, le titre d'argent des monnaies décline, au profit d'une importante proportion d'alliage de moindre valeur. Les monnaies frappées entre 840 et 864 se caractérisent par la variabilité du titre d'argent et par le recours au laiton. Le métal en lingots ou en barres est taillé en morceaux, on parle de flans à monnayer. Ceux-ci sont ensuite placés entre deux coins portant l'empreinte voulue, gravée en creux, sur l'une des extrémités. On frappe au marteau et à froid le coin tenu en main afin d'imprimer en relief les faces du flan.
Ce denier datant du règne de Charles le Chauve (840 – 877) a été mis au jour à Saran, dans le comblement de la cave-cellier d'une habitation aristocratique. Il correspond au type à la porte de ville. Il est d'ailleurs également connu pour des monnaies frappées sous Charlemagne puis sous Louis le Pieux. Les deniers à porte de ville de Charles le Chauve sont essentiellement réalisés à Orléans et à Chartres, comme le montre l'épigraphie.
Denier
840-864
265-309 rue du Bourg (Saran)
Argent
Diam. 2 cm, 1,54 g
Orléans, DRAC Centre, Service régional de l'Archéologie
Droit : +CARLVSREXFR "Charles, roi des Francs ", entre deux grènetis (cordons composés de grains), en son centre une croix cantonnée de quatre globules
Revers : +AVREL•IA•NIS " Orléans ", porte de ville
Atelier : Orléans
Date de modification : 8 juillet 2020